Craignant de nouvelles coupes budgétaires, les chefs des armées brandissent leur démission.

L’ensemble de l’état-major de l’armée prêt à démissionner : du jamais-vu dans l’histoire de la Ve République. Certes, cette menace n’a pas encore été mise à exécution par les chefs militaires, mais elle paraît sérieuse. A l’origine de ce coup de sang : les informations évoquant de nouvelles coupes budgétaires au sein de la Défense. « Le monde militaire est une cocotte-minute prête à exploser par le couvercle », confie une source proche du dossier.

Les patrons de la marine, de l’armée de l’air et de l’armée de terre se sont concertés le 13 mai 2014. S’ils ont choisi de surseoir à toute décision hâtive, le principe d’une démission collective est acquis. Selon des propos rapportés, l’un d’entre eux aurait affirmé peu après cette réunion au sommet : « Que le pouvoir politique change d’avis, c’est son droit. Mais cela se fera sans moi. » Un autre haut gradé a souligné qu’il y allait de sa crédibilité : « On vient de faire le tour de France des casernes pour faire passer les coupes budgétaires en vantant auprès des troupes les mérites de la nouvelle loi de programmation militaire (2014-2019) calculée au plus juste… »

Tout a commencé quand l’ancien ministre (UMP) Xavier Bertrand a révélé, le 11 mai, sur Europe 1 que de nouveaux efforts allaient être demandés aux armées dans le cadre du plan global d’économies de 50 milliards par le gouvernement. Stupeur dans les milieux militaires, mais aussi jusqu’au sein du cabinet du ministre de la Défense. Pourtant très proche du chef de l’État, Jean-Yves Le Drian n’a, semble-t-il, pas été mis au courant de ce qui se tramait du côté de Bercy.

Dans sa volonté effrénée de baisser les dépenses de l’État, le ministère de l’Économie veut mettre à contribution les militaires au prorata de leur poids dans les dépenses de la nation, qui n’est pas mince : 18 % du budget. « La prévision de Bercy, c’est une baisse de 6 milliards sur trois ans, assure un connaisseur du sujet. Un milliard cette année, deux l’an prochain, puis trois… » Rien n’est fait, mais les démentis du bout des lèvres du Premier ministre, Manuel Valls, ajoutent à l’angoisse.

Pour la hiérarchie militaire, trop, c’est trop. « Ce que Bercy oublie, c’est que les armées enchaînent les plans de réduction depuis vingt ans », rappelle un responsable de la Défense. La précédente loi de programmation militaire (LPM), votée en 2008, prévoyait 54 000 suppressions de postes. Celle de 2013 encore 20 000. Les crédits d’équipement connaissent une baisse drastique. « Si on continue sur cette pente, disait il y a quelques jours le chercheur Étienne de Durand, on ne pourra bientôt plus refaire l’opération Serval au Mali. »

Pour faire passer la pilule, le gouvernement s’est engagé à faire appliquer la loi de programmation militaire dans son intégralité. Jean-Yves Le Drian a lui-même indiqué à plusieurs reprises que toute entorse à la nouvelle LPM équivaudrait à retirer « une brique d’un mur » : « C’est tout l’ensemble qui s’effondrerait. »

D’après des sources proches du dossier, le ministre se poserait lui aussi la question de sa propre démission si Bercy obtenait gain de cause.

Tous les regards se tournent désormais vers l’Elysée. Des messages ont été passés pour que François Hollande reçoive rapidement les chefs des armées « afin qu’il prenne par lui-même la mesure de la colère de la hiérarchie ». Même si le Président devait confirmer le maintien du budget de la Défense, cet épisode laissera des traces durables en termes de perte de confiance.

C’est une crise profonde entre le pouvoir politique actuel et notre armée nationale.

Thomas Hofnung, 21 mai 2014.