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« Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire ».

Ces mots confiés par David Rockefeller au magazine américain Newsweek, le 1 février 1999, fournissent la clé pour comprendre ce qui se passe depuis une trentaine d’années et qu’on appelle « mondialisation néolibérale ». Déléguer au secteur privé la maîtrise des choix ou, pour l’exprimer à la manière pudique de journaux comme Le Monde ou Les Echos, « redéfinir le périmètre de l’État », c’est l’objectif du patronat et des milieux bancaires.

Cet objectif est en passe d’être atteint avec le projet intitulé « Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement ». Derrière les termes anodins pour désigner un accord classique de libre-échange se cache un projet d’une ampleur radicalement différente.

En effet, le 14 juin 2013, les gouvernements de l’Union européenne, ont demandé à la Commission européenne de négocier avec les États-Unis la création d’un grand marché transatlantique. Confier aux firmes privées la possibilité de décider des normes sociales, sanitaires, alimentaires, environnementales, culturelles et techniques, c’est désormais l’objectif des firmes transnationales et des gouvernements d’Europe et des USA dont ils sont l’instrument politique.

Démantèlement programmé des normes sociales

Il n’y a pas d’Europe sociale. En dépit des promesses et des engagements, en dépit de la magnifique Charte sociale de Turin et de tous les textes qui ont suivi et qui n’ont qu’une valeur indicative. Chacun sait, et les juristes mieux que d’autres, qu’il n’y a pas de droits sans possibilité de les faire respecter. C’est la dramatique faiblesse des Conventions sociales de l’Organisation Internationale du Travail.

Dès le traité de Rome de 1957, les six gouvernements fondateurs ont renoncé à l’obligation d’harmonisation sociale parallèlement à la volonté d’harmonisation commerciale et économique. L’harmonisation sociale devait résulter, comme l’indique l’article 117, du « fonctionnement harmonieux du marché ». On voit aujourd’hui ce qu’il en est avec 27 millions de chômeurs en Europe et un droit du travail en plein recul !

Force est de constater que les orientations fondamentales des choix européens tendent à démanteler les politiques sociales dans les États où elles existent encore. Quand on observe les propositions et les recommandations de la Commission européenne aux États membres de l’UE, il est manifeste que l’objectif est d’abolir peu à peu le droit du travail comme domaine juridique spécifique. Cela nous ramènera au 19ème siècle si cher aux libéraux, époque au cours de laquelle le droit civil régnait en maître dans les relations de travail, époque où c’est la voix de l’employeur qui primait toujours sur celle du salarié.

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Le Grand marché transatlantique

La création de ce qui est appelé un « partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement » (ou grand marché transatlantique, GMT) fournit l’opportunité de procéder au démantèlement de ce qui existe encore en matière de normes sociales dans un certain nombre d’États de l’Union européenne. Faut-il préciser que, pour la préparation du mandat de négociation, la Commission européenne reconnaît elle-même avoir tenu à cette fin, entre janvier 2012 et avril 2013, 119 réunions avec les représentants des milieux patronaux et financiers ?

Avec le GMT, un des grands objectifs poursuivis par l’UE et les USA — c’est-à-dire par les multinationales transatlantiques — c’est d’atteindre le plus petit dénominateur commun en matière de législations et de réglementations sociales. En droit du travail cela équivaut à s’aligner sur le Mexique à terme…

Privatisation globale

Depuis le début de la crise, la Commission demande la privatisation des services publics, la remise en cause du droit du travail, le démantèlement de la sécurité sociale. Le droit social doit être soumis au droit commercial et à la concurrence sans limite.

Une « justice » privée pour le secteur privé

En vertu de l’article 32 du traité, nos gouvernements sont disposés à confier à des groupes d’arbitrage privés le soin de régler tout conflit sur les législations et réglementations sociales entre une firme privée et les pouvoirs publics, enlevant ainsi à nos tribunaux le pouvoir de trancher ce type de conflits. Un mécanisme de règlement des différends n’est en aucune façon un tribunal : c’est une structure créée au cas par cas, composée de personnes privées choisies par les parties, qui délibère en secret et dont les décisions sont sans appel. Une structure de ce type poursuit un seul but : donner raison à la firme privée. C’est ce que montre l’exemple de l’accord de libre-échange Canada-USA-Mexique signé il y a 20 ans qui sert de modèle au GMT.

Tout doit être mis en œuvre pour faire échouer cette négociation UE-USA qui transformera, si elle aboutit, les 28 États de l’UE en 28 colonies américaines.

Raoul Marc JENNAR

Auteur de « Europe, la Trahison des Elites » éd. Fayard
et « Le grand marché transatlantique.
La menace sur les peuples d’Europe »,
Perpignan, Cap Bear Editions, mars 2014.

Source : www.jennar.fr

Publié dans Morphéus n° 63