En vieil irlandais fíad signifie cerf. Dans la mythologie irlandaise les prêtresses chasseresses formaient des triades de vierges nommé fianna. Elles étaient identifiées aux biches entourant le cerf et devaient assurer la continuité des lignées initiatiques. Par leurs dons, elles devaient le transformer en « cerf de lumière » et, ensuite, donner naissance à la sagesse, engendrer des enfants divins…
Ce culte du cerf était pratiqué en Gaule et dans toute l’Europe celtique avant l’occupation romaine. À la chute de l’Empire Romain, ce culte protohistorique sera restauré par les rois mérovingiens. Chaque roi mérovingien était entouré d’une triade de sœurs spirituelles. Une de ces prêtresses était nommée reine et les autres sœurs étaient appelées concubines. Mais il s’agissait d’une véritable théocratie féminine pratiquée par la triade, engendrant une triple lignée sacerdotale avec un roi.
Mission : détruire la tradition
Le missionnaire Colomban (540-615), venu d’Irlande, connaissait parfaitement cette tradition féminine protohistorique. Son objectif était d’anéantir cette théocratie féminine en Gaule. Avec douze disciples, il entreprit une seconde évangélisation. Elle fut pensée et organisée, tant sur la plan religieux que politique. Sa cible principale était l’Austrasie, le royaume des Francs orientaux, dirigé par la reine Brunehilde et Thierry II. Colomban savait que ce royaume était une théocratie féminine pratiquant le culte ancestral gaulois du cerf. Il entendait l’éradiquer et imposer un ascétisme chrétien.
Qui était Colomban ?
Le missionnaire irlandais Colomban est né en Irlande, d’une mère « de condition noble et de riche maison, que certains disent apparentée à la grande famille des Mœnachs » appartenant au clan qui avait donné le roi Móenach du royaume du Leinster situé au sud-est de l’Irlande. Son éducation fut druidique, comme en témoignent certains biographes (ici le moine Jona en 618) :
« Familier des forêts, l’enfant y puisait les leçons de la nature ; il lisait l’heure au soleil et donnait aux vents leurs noms et leurs couleurs : il savait que noir est l’aquilon et pourpre est la brise d’est. Avec passion, il étudiait le comportement des animaux dont il surprenait la vie et les coutumes. Il apprivoisait les renardeaux, les oiseaux des bocages et même les lézards des murailles… Il savait allumer un feu, creuser un four et cuire les pommes sauvages entre des pierres chaudes. Sans erreur, il cueillait les baies comestibles ; il connaissait le moyen de mettre au jour l’eau qui suinte sous les roches…
Pour calmer sa soif, il composait promptement une boisson de mûres ou tirait à une biche son lait sans l’effrayer, qu’il buvait dans un bol de fortune, creusé à même l’écorce…
Il retenait les secrets de guérison que lui confiaient les bergers… Sous ses yeux, le forgeron façonnait dans les flammes, parmi les gerbes d’étincelles, un outil neuf, une arme brune ; … L’enseignement laïc et la culture chrétienne, qui devaient fusionner en Irlande dès l’an 600, demeuraient encore distincts ; mais il semble que Colomban en ait reçu la double empreinte… Sur la cire des longues tablettes, l’enfant traçait les lettres de l’alphabet, en se servant du graib, stylet en métal pointu…
Lentement, en 12 années, croit-on, il devait acquérir les connaissances essentielles : grammaire d’après les auteurs latins Donat et Priscien, rhétorique et littérature, arithmétique et astronomie, géométrie, écritures saintes, bref, les sept arts libéraux qui constituent le fondement de la culture médiévale. S’y ajoutaient les quatre arts de la poésie bardique, la prosodie, l’histoire, la philosophie, le rythme, qui complétaient le bagage du jeune irlandais.
« Doué, studieux, éminemment artiste, il semble que Colomban ait atteint très jeune à un haut degré de savoir. Le don de poésie se développait en lui. Endormi au berceau par des chants et des poèmes, il avait reçu sans efforts les leçons de l’épopée. … Son génie précoce s’alimentait à la double source de l’antiquité latine : Horace, Virgile, Ovide, et de la légende celtique : Arthur, Ossian… Nous ignorons si Colomban fut barde et si, devenu ollamh (maître en vieil irlandais), il eut le droit d’être admis au palais et de s’asseoir dans la salle de banquet en présence du roi » »
Les informations tirées de cette citation montrent que Colomban avait reçu l’éducation d’un druide patriarcal. Il connaissait le grec, le latin et l’hébreu. Sa connaissance du grec est parfaitement attestée parce que Colomban calculait son âge en olympiades, selon le système chronologique des anciens Grecs.
Départ en Gaule
En 585 à 45 ans, il quitte l’Irlande avec douze disciples. Il débarque en Cornouaille à Tintagel, l’ancien château du roi Arthur selon la légende. Il y reste peu de temps et arrive près de Saint-Malo en Bretagne. Il passe par Rouen et Noyon et se dirige immédiatement vers Reims qui est la capitale de l’Austrasie, le royaume des Francs orientaux. Il fonde le monastère de Luxeuil dans les Vosges du sud et médite dans une grotte.
Conflit doctrinal et menaces de Colomban
En 603, à l’occasion du concile de Châlon, il entre en conflit avec l’église franque car il veut remplacer le calendrier julien par le calendrier irlandais. Dans son livre « Un pionnier de la civilisation occidentale, Saint Colomban » Marguerite-Marie Dubois relate :
« Le désaccord entre l’usage irlandais et l’usage gaulois se manifestait presque tous les ans. Pis encore ! Il arrivait que les moines de Luxeuil se rencontraient avec les Juifs dans leur inadmissible comput (calcul pour l’établissement du calendrier). Le scandale était flagrant, d’autant que l’abbé perturbateur… provoquait d’interminables discussions… Mais le mal était plus grand qu’il ne semblait. Au sein même des monastères, la division se faisait jour, les uns Bretons et Irlandais, tenant pour leur chef, les autres Gaulois et Francs, réprouvant l’agitation qui mettait en péril la tranquillité du cloître ».
L’affaire s’envenima et le roi Thierry II se rendit à Luxeuil pour rendre Colomban à la raison. Colomban répondit : « Prenez garde ! Si vous êtes venu pour détruire nos monastères en violant notre règle, sachez que votre royaume sera détruit avec toute votre race ».
Colomban insulte le couple royal
L’Église franque est aryenne ainsi que la reine d’Austrasie Brunehilde (547-613). En 607, Colomban la rencontre et lui demande des terres et de l’argent pour construire des monastères. Brunehilde lui demande en retour de bénir ses arrières petits fils.
Colomban refuse de bénir les enfants de Thierry II qu’il a eu avec plusieurs concubines (selon la coutume polygame de la tradition) et les accuse d’être des prostituées : « Non, dit-il, ils ne recevront pas le sceptre royal, car ils sont nés de lupanars ».
À cause de cet outrage, Brunehilde l’expulse en 610. Il fuit vers Nantes en descendant la Loire et se réfugie dans le royaume des Francs occidentaux, en Neustrie chez Clotaire II. Il est protégé par Clotaire II (584-629) acquis au Christianisme de Colomban.
Colomban fomente une guerre fratricide
À partir de ce moment, Colomban va tout faire pour accentuer les querelles familiales entre les Francs occidentaux et les Francs orientaux, jusqu’à provoquer une guerre de religion. C’est alors une guerre civile qui débute.L’historien ecclésiastique Grégoire de Tours en parle. Il raconte que les villes de Chartres, Blois et Orléans s’opposent à Châteaudun. Colomban s’oppose ouvertement au pouvoir féminin de Brunehilde. Au final, l’Église franque aryenne de la reine parvient à vaincre.
Fuite de Colomban
Colomban est contraint de fuir à nouveau. Il s’installe au bord du lac de Constance, protégé par Clotaire II. Il fonde un autre monastère et entre à nouveau en retraite dans une grotte. Brunehilde le menace et il fuit vers le lac de Côme dans le royaume de Lombardie. Il fonde le monastère de Saint-Gall. Il demande des terres et de l’argent au roi de Lombardie qui le protège. En 612, il fonde le monastère de Bobio.
La revanche de Colomban
Clotaire II organise une coalition pour vaincre la reine Brunehilde. Il y parvient finalement en 613. Clotaire fait supplicier Brunehilde durant trois jours en la livrant aux exactions de son armée, à Renève. Finalement, elle est attachée par les cheveux, un bras et une jambe à la queue d’un cheval indompté. Son corps brisé est ensuite brûlé. Ses restes sont apportés et enterrés à l’abbaye Saint-Martin d’Autun qu’elle avait fondée (fin de l’année 613). L’abbaye aujourd’hui détruite, les fragments du sarcophage sont conservés au musée Rolin à Autun. Ces horribles tortures commises sur la reine Brunehilde, au lieu d’abolir sa mémoire, laissèrent place à une légende. L’extermination de toute sa lignée n’a pas eu raison de la tradition.
Mort de Colomban
Colomban est rappelé en France par Clotaire II mais il ne peut s’y rendre car il meurt en Italie en 615. À la mort de Clotaire II, Dagobert Ier le remplace sur le trône et son règne qui s’achève en 639 commence la période dite des rois fainéants. Ces derniers conservent la tradition et la mémoire de la reine Brunehilde.
L’ascétisme de Colomban
Colomban a fondé de nombreux monastères dirigés par une règle ascétique très sévère. Elle a été élaborée pendant qu’il était en Bourgogne. Elle est basée sur la chasteté et la mortification. Prenons quelques exemples. Il s’agit de guérir les coupables par des peines immédiates, principalement formulées en nombre de coups. Pour préserver la chasteté, il est interdit à un moine de passer une nuit dans une auberge où se trouve une vierge, d’avoir des conversations régulièrement avec une vierge, de voyager avec une vierge. Il est recommandé de dormir le moins possible. Il ne faut se coucher qu’épuisé. Pour y parvenir, la règle prévoit de nombreux travaux, manuels et intellectuels. De vastes scriptoria sont aménagés pour y recopier des manuscrits enluminés et les moines travaillent la terre. La règle de Colomban exigeait des moines qu’ils se consacrent quotidiennement à l’étude et à l’écriture. Les monastères de Luxeuil de Bobio deviendront de grands centres de production de manuscrits enluminés et de diffusion de livres.
Dans les royaumes francs, avant l’intervention de Colomban, l’Arianisme cohabitait avec la gynécocratie gauloise protohistorique. Après l’ère mérovingienne, le Christianisme trinitaire va se durcir. C’est dans le milieu intellectuel des monastères colombanites que la langue sera transformée, les étymologies modifiées et l’histoire réécrite.
Question doctrinale
L’ascétisme, la mortification, la mise à l’écart de toute femme et surtout des vierges, le manque de sommeil auto-infligé, le célibat imposé, les punitions violentes en cas de désir charnel, sont des pratiques qui n’existent dans aucun enseignement du Christ. Et pourtant, Colomban se réclame de la Chrétienté. Alors, d’où vient cette doctrine ?
Le terme « ascète » nous renseigne à ce propos. Il est composé de « as » qui signifie dieu et de « scète » qui se prononce « Seth », dieu égyptien du désordre et de la guerre. Ainsi, toute mortification est une offrande faite à ce dieu. Il est vraisemblable que Colomban ait connu cette doctrine en étudiant l’hébreu. Il l’intégra comme « doctrine chrétienne » afin de combattre la tradition gynécocratique gauloise.
Cette doctrine est en effet l’exact opposé de la tradition. La chrétienté colombanienne vise à isoler les prêtres des prêtresses réalisées, interdisant ainsi toute lignée filiative sacerdotale. La tradition vise à unir les meilleurs êtres spirituels pour engendrer des enfants divins.
© Romuald Skotarek,
Morphéus n° 120, novembre/décembre 2023