En préambule, nous tenons à signaler que lors des premiers mois de la lutte dite antiterroriste de l’administration Bush, 880 terroristes seront arrêtés et envoyés dans les geôles US. Après étude de leurs dossiers, il est avéré aujourd’hui que 859 de ces terroristes avaient un casier vierge exempt de toute activité répréhensible. Par ailleurs, nombre d’adolescents issus de familles musulmanes n’avaient que 14 ans quand ils furent enlevés et envoyés à Guantanamo ou autres prisons secrètes. Ces informations seront exposées par la Commission Arabe des Droits Humains en juin 2010, lors d’une cession à l’ONU consacrée à ces affaires.
Le témoignage de Saber Lahmar, ci-dessous, a été réalisé en direct sur Radio Morphéus le 28 mars 2010. Son cas n’est pas une exception. Globalement, 97 % des arrestations furent arbitraires, et motivées par des primes au prisonnier (de l’ordre de 2000 dollars par tête), distribuées aux autorités arabes locales complaisantes, avec les représentants américains sur place.
Saber Lahmar, âgé de 40 ans, d’origine algérienne, détenu 8 ans à Guantanamo
« Avant d’être enlevé et incarcéré à Guantanamo, j’habitais à Sarajevo. J’étais directeur d’un centre culturel musulman. J’ai fait des études islamiques en Arabie Saoudite à Médine. »
« Je fus arrêté le 18 octobre 2001 par la police bosniaque, sans motif. Ils fouillèrent ma maison pendant 4 heures, inspectant également ma voiture. Ils m’ont emmené ensuite au poste de police afin de prendre mes empreintes. La police m’a déclaré avoir reçu des ordres de la part des services secrets américains postés à Sarajevo. « On a rien contre vous, mais on a reçu des ordres pour vous arrêter. Nous sommes tenus de vous poser certaines questions ». Je leur rétorquais : « Quel crime ai-je commis pour me retrouver au poste ? » Ils m’affirmèrent que des ordres venaient de l’ambassade américaine. »
« Je suis resté 24 heures au poste. Ensuite ils m’ont dit de rentrer chez moi avec un document attestant que j’étais libre. Quand je suis sorti du commissariat de police, j’ai cependant été rappelé par un gradé exigeant que je passe quand même devant un juge le lendemain. La première question du juge fut : « Connaissez-vous Ben Laden ? » J’ai répondu que je ne le connaissais pas. En fait, tout fut fait pour tenter de me maintenir en détention sans motif et de me livrer aux américains. »
« Je fus alors détenu pendant trois mois par la police bosniaque, pour enquête selon « leurs termes », mais je ne fus jamais interrogé durant cette période. J’avais la visite d’un avocat en prison. Je lui demandais pourquoi j’étais incarcéré. Il répondit que le gouvernement américain m’accusait de vouloir faire des attentats contre les ambassades US et britanniques de Sarajevo. Suite à cela j’ai fait une demande auprès de l’ambassadeur américain afin de clarifier la situation. Ce dernier a refusé de me parler. J’ai alors demandé à rencontrer l’ambassadeur britannique. Ce dernier m’envoya un représentant de l’ambassade avec qui je pus m’entretenir. Il me déclara : « On ne vous accuse de rien, mais tout cela fait partie d’un scénario américain, c’est du Hollywood. Le prétexte de votre détention sera une accusation (sans preuves) relative à d’hypothétiques attentats contre les intérêts US en Bosnie ».
« Après trois mois de détention, le juge a déclaré que j’étais innocent. Je pouvais donc rentrer libre chez moi. Je suis sorti de la prison bosniaque à 22h00, mais il y avait des voitures américaines m’attendant dehors. Ils m’ont cagoulé et emporté de force dans un véhicule. Il m’ont emmené dans une base militaire US à Sarajevo. J’ai sans doute été cagoulé pendant 48 heures, pieds et mains liés. J’ai ensuite été emmené à Touzla (Bosnie) en hélicoptère. Puis 24 heures plus tard, je me suis retrouvé à Guantanamo. »
Guantanamo
« Les premiers jours à Guantanamo furent les moments les plus difficiles de ma vie. Les premiers mots des geôliers américains furent : « A présent tu es dans l’enfer américain, et nous pouvons faire de toi ce que bon nous semble. » Je fus mis nu, attaché, allongé au sol et lavé avec un balai. Les américains rigolaient, se moquant de moi. Je fus ensuite emmené dans une prison de 3 mètres carré, dans laquelle je fus incarcéré pendant 8 ans.
Quotidien d’un prisonnier à Guantanamo
« Nous devions nous tenir dans une position fixe sans bouger du matin jusqu’au soir, accroupi en tenant les genoux. Nous ne devions ni parler, ni nous plaindre ou prononcer ne serait-ce qu’un seul mot. Nous devions avoir le regard fixé au sol avec interdiction de regarder de côté. Nous étions autorisés à bouger pendant 10 minutes lors des repas. Après 22 heures nous nous couchions sans couvrir le visage ni les mains. Le petit déjeuner était un toast avec une tranche de fromage. Pour le déjeuner nous avions droit à trente grammes de riz bouilli, pour le dîner nous avions 30 grammes de haricots bouillis. Ils disaient tout le temps que c’était là le repas pour un terroriste. »
« Pour la toilette nous disposions de 3 minutes par semaine. Un groupe de geôliers rentrait dans la chambre, me déshabillait, m’attachait les mains et les pieds et me portait dans la « salle de bain de la prison ». Là du savon était versé sur moi et un robinet était ouvert pendant 3 minutes pour me rincer le corps. Après cela j’étais à nouveau porté par les geôliers et déposé au sol dans ma cellule. »
Interrogatoires
« Les interrogatoires étaient quotidiens. On me posait toujours les mêmes questions. Nom, prénom, nom de ma mère, mes frères et sœurs, etc. Je continuais à leur demander pourquoi j’étais incarcéré à Guantanamo. Leur réponse était toujours la même : « On ne sait pas ». Au bout de quatre années d’interrogatoires j’ai refusé de leur parler, leur disant que je ne reparlerai que s’ils me donnaient les raisons pour lesquelles j’étais incarcéré. Ils m’ont dit alors qu’aucune preuve n’avait été retenue contre moi concernant une tentative d’attentat contre les ambassades américaine et britannique à Sarajevo. Mais j’étais selon eux retenu pour leur fournir des informations, c’est pour cela que j’étais à Guantanamo. La première année, j’ai subi une torture qui consistait à m’attacher sur une chaise métallique pendant 18 heures d’affilées. Pendant 8 mois j’ai eu à subir ce traitement quotidiennement… »
Extraits de l’interview franco-arabe « Guantanamo »
de Radio Morphéus animée, par F. Morin
intégralement téléchargeable sur www.radio-morpheus.com