Des hauts gradés de l’armée ont décidé de rompre le silence. Chacun à leur manière, les généraux Soubelet, Tauzin et Piquemal font part de leur inquiétude quant à l’avenir du pays. Focus sur les nouveaux forts en gueule de la Grande Muette.
La Grande Muette, murée depuis des décennies dans son silence, retrouve peu à peu de la voix. Le général Soubelet, encore en activité, publie un livre pour expliquer que « la sécurité dans notre pays (la France) n’est pas assurée comme elle le devrait ».
Le général Tauzin a quitté l’armée mais il envisage de se présenter à la prochaine élection présidentielle avec l’ambition de « refonder la politique comme service de l’homme et du citoyen ». Christian Piquemal, ancien commandant de la Légion étrangère, déchaîne les passions lorsque les caméras filment son arrestation pendant une manifestation de Pegida à Calais. Pendant ce temps là, du côté de l’Élysée et de Matignon, on a des migraines. Bertrand Soubelet est démis de ses fonctions et Christian Piquemal s’est retrouvé devant un juge en mai 2016.
Ces prises de paroles pousseront-elles d’autres militaires à jouer avec les limites du droit de réserve ? Une question légitime dont la réponse ne sera connue que dans le futur. Ces généraux ont consacré leur vie à la France et sont inquiets pour son avenir.
Bertrand Soubelet Le « Général Courage »
Un jour de décembre 2013, les portes de l’Assemblée nationale voient passer un homme en uniforme. Les employés du Palais Bourbon regardent avec curiosité Bertrand Soubelet alors inconnu du grand public. Il vient à la rencontre du député socialiste Jean-Pierre Blazy et de sa commission parlementaire. A l’ordre du jour ? Le travail de la gendarmerie nationale contre l’insécurité. Le général Soubelet en est le patron des opérations et de l’emploi. A mille lieues d’imaginer la tournure que prendront les événements, il livre sans détour son sentiment et ses inquiétudes. Après tout, pas moins de quatre étoiles sont accrochées à son uniforme. Il parle d’une situation « préoccupante » et « difficile ». Les moyens d’actions sont « insuffisants » pour lutter contre une « montée » de la délinquance. Il interpelle : « La charge de travail pèse sur l’équilibre personnel et familial des militaires. Et, surtout, la population sait-elle à quel point les hommes de la gendarmerie sont sollicités ? » Dans son viseur : la justice. Il évoque une politique pénale « qui pose problème » au plan national.
Quelques semaines plus tard, les médias parlent d’une séance ayant viré à la critique du gouvernement. Une période très difficile débute. Durant des mois, il est « court-circuité ». Même s’il regrette que « le sens » de ses propos ait été « systématiquement » détourné, le général sera démis de ses fonctions au mois d’août 2014. Dorénavant, il sera à la tête de la gendarmerie d’outre-mer. Une mutation en forme de punition qui lui vaut le surnom de « Général Courage » par ses défenseurs.
Ce militaire à la carrière exemplaire vient d’être lâché par l’armée. Difficile à avaler pour un homme qui a consacré sa vie à la France. Fils d’un industriel, ce basque d’origine est très respecté de ses semblables. Le journaliste du Figaro Cyril Hofstein le décrit comme un homme « engagé, parfois sec, toujours ferme, ne craignant ni confrontation ni controverse ». Décoré de la Légion d’honneur et de la croix de la Valeur militaire, il a fait une carrière fulgurante qui l’a mené de Saint-Cyr, à l’Allemagne en passant par la guerre civile en Haïti en 2004.
Loin d’avoir été étouffée, sa soif de s’exprimer a trouvé un nouveau canal. Le 24 mars 2016, Bertrand Soubelet, 56 ans, a publié « Tout ce qu’il ne faut pas dire ». Un livre en partie motivé par les attentats de 2015. « Des pressions ont été exercées sur moi pour me faire quitter la gendarmerie qui a été ma vie pendant trente-cinq ans », explique le général. « Désormais personne ne peut m’opposer un pseudo devoir de réserve. D’où ce livre. Mon diagnostic est simple : la sécurité est l’affaire de tous. Il est temps de réagir, grand temps. Il y a urgence. Notre société est en danger. Jamais le danger n’a été aussi menaçant », poursuit le militaire. Se défendant de toutes considérations politiques, Bertrand Soubelet s’en prend à nouveau au système judiciaire. Il s’interroge : « Comment expliquer, dans un Etat de droit, que des règles juridiques empêchent de poursuivre des délinquants et que des victimes ne puissent pas obtenir réparation ? »
Il évoque un pays devenu « poudrière » avant de souligner que « les délinquants disposent de stocks d’armes illicites qui sont le reliquat des guerres d’Europe centrale ». Selon lui, la surpopulation carcérale est un défi majeur sur lequel « les politiques de tous bords se brisent les uns après les autres ».
Ses prises de positions, exprimées en public, lui ont valu, à nouveau, l’ire des hautes instances. Le 21 avril, le directeur général de la gendarmerie nationale, Denis Favier, a confirmé que le général Soubelet était « appelé à changer d’affectation dans les jours qui viennent ». Une habitude.
Didier Tauzin, le Général qui vise l’Elysée
Le 8 janvier 1959, René Cotty remet son mandat de président à Charles de Gaulle. Un général rentre à l’Elysée. 57 ans plus tard et toutes proportions gardées, Didier Tauzin verrait bien un militaire à nouveau dans le costume du président. Et pourquoi pas lui-même.
Agé de 55 ans, ce général de division de l’armée de terre s’est mis en tête de se présenter à la présidentielle de 2017. Depuis quelques mois, il place ses pions. Site internet, quelques apparitions dans les médias et surtout, un livre programme. Publié en février 2016, « Rebâtir la France ». Le projet présidentiel, entend convaincre les électeurs dégoûtés par les partis politiques. L’homme intrigue. Sa page Facebook compte presque 13 000 « like » et il affirme que plus d’une vingtaine de maires lui ont déjà promis leurs soutiens. La tournée de présentation de son livre connaît un certain succès. Le général Tauzin a fait salle comble dans plusieurs villes comme Nice, Nancy, Lyon ou Clermont-Ferrand.
A l’instar du général Soubelet, Didier Tauzin est un militaire respecté de ses pairs. Officier de la Légion d’honneur, Commandeur de l’Ordre national du Mérite et Croix de la Valeur militaire…
Didier Tauzin est un ancien commandant du 1er Régiment de Parachutiste d’Infanterie de Marine. Il a notamment participé au conflit rwandais. Accusé d’être en partie responsable du génocide, il a écrit deux livres pour s’en défendre : Rwanda : « Je demande justice pour la France et ses soldats » et « La Haine à nos trousses de Kigali à Paris ».
Sa carrière militaire lui a en partie été inspirée par le parcours de son père, un homme dont la vie pourrait être transposée à l’écran par un scénariste hollywoodien. Raoul Tauzin s’engage comme soldat en 1939. Après avoir été fait prisonnier, il s’évade pour rejoindre le général de Gaulle à Londres. Durant le conflit, il officie en tant que parachutiste SAS de la France Libre. Une fois l’armistice signée, il s’engage en Indochine et participe à la célèbre bataille de Dien Bien Phu avant d’être à nouveau capturé et incarcéré, cette fois dans des camps viets. Il participe également au conflit en Algérie. Raoul Tauzin finira par s’engager en politique et deviendra même vice-président du conseil général de la Charente.
Didier Tauzin sur les traces de son père ? Le général Tauzin s’y est longtemps refusé. En 2005-2006, il vit une expérience qui le met en relation avec la politique. La ministre de la Défense d’alors, Michèle Alliot-Marie, lui demande de mettre en place l’Etablissement public d’insertion de la défense (EPIDe), une structure favorisant l’insertion de jeunes Français défavorisés. « La politique au sens le plus fort du terme », selon lui. Quand son idée d’élargir l’EPIDe se voit refusée, il décide de quitter l’armée.
Si Didier Tauzin se dit intéressé par la politique depuis l’âge de 25 ans, c’est l’épisode de la lutte contre « le mariage pour tous » qui va servir de véritable déclic. En 2012 et 2013, des centaines de milliers de Français battent le pavé contre la réforme de Christiane Taubira. Le général est de ceux là. N’acceptant pas de « s’entendre traiter de fasciste par Manuel Valls », il dit craindre « une dérive sécuritaire anti-démocratique ».
Cette crainte, il va s’en servir comme d’un carburant pour remplir son encrier. Il prend la plume et couche sur papier « Rebâtir la France ». Sorti en 2015, l’ouvrage contient une analyse grave mais optimiste de l’état de la France. « J’ai vécu quatre guerres civiles sur le terrain, et je n’accepte pas de rester à ne rien faire quand la France risque de sombrer dans ce genre d’épreuve, même si, je le répète, l’issue ne fait pour moi aucun doute : la France vivra », explique-t-il.
La pensée politique du général Tauzin est tournée vers la réalisation de trois objectifs. D’abord, la lutte contre le chômage. « Il est nécessaire de mener une politique économique volontariste afin de briser tous les carcans qui retiennent les fabuleuses énergies des Français », souligne-t-il.
Un autre de ses combats prioritaires concerne le communautarisme. Il se désole que la France soit incapable « de présenter un projet à sa population ». « On ne parvient pas à intégrer les populations immigrées. Il est urgent de refonder l’unité nationale par la mise en avant d’un socle culturel et un but commun », propose-t-il.
Le général Tauzin appelle à « agir vite » contre le djihadisme qui « menace jusqu’à l’existence de nos sociétés européennes ». Une guerre qu’il appelle à mener en partenariat avec l’Europe et la Russie. Et autant vous dire qu’il ne juge pas François Hollande à la hauteur des dangers qui menacent la France.
Christian Piquemal le sulfureux
Nous sommes le 6 février 2016. A Calais, la situation devient de plus en plus tendue. La « Jungle », le plus grand camp de migrants du pays, est au centre de toutes les attentions. C’est dans ce cadre que Pegida, mouvement anti-islamiste, anti-nazi, anti-communiste et europhobe, appelle les citoyens en colère à se réunir. Quelques jours auparavant, la préfecture avait interdit le rassemblement. 150 personnes décident de braver la prohibition et manifestent leur colère aux cris de « On est chez nous » et entonnent la Marseillaise.
Parmi eux, se trouve un général de 75 ans, Christian Piquemal. Il avait signifié son intention de venir. Au micro de l’envoyée spéciale de Boulevard Voltaire, il justifie sa présence par la nécessité de « défendre la grandeur et l’identité de la France ». Le militaire en profite pour tacler ses collègues gendarmes, « des militaires qui traitent des Français de cette manière là, c’est quelque chose de vraiment inacceptable », assène-t-il fermement. Quelques instants plus tard, dans la confusion la plus totale, plusieurs personnes sont arrêtées et parmi elles, le général. Les caméras captent la scène et l’événement déclenche une tempête médiatique. Sur les réseaux sociaux, l’indignation se mêle à la justification. Un ancien commandant de la Légion étrangère interpellé par les forces de l’ordre, la situation est inédite.
Christian Piquemal partage avec Bertrand Soubelet et Didier Tauzin une même appétence pour la liberté d’expression. Mais il est clairement le plus sulfureux. Passé par Saint-Cyr et diplômé en ingénierie nucléaire, sa carrière est riche de plus de quarante années au service de la France. Tchad, Bosnie, le général 4 étoiles sert dans plusieurs pays avant de prendre la tête, en 1994, de la prestigieuse Légion étrangère. En 2000, il dépose son fusil. L’occasion de s’occuper de son cercle de réflexion des « Citoyens-Patriotes ». Une fois sur le site internet, une référence à Ernest Renan accueille le lecteur : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes. »
Le think-tank revendique clairement son but : « Françaises et Français de bonne volonté, de toutes origines socio-professionnelles, obédiences politiques et confessions religieuses, nous, « Citoyens et Patriotes », nous voulons préserver, restaurer, les valeurs qui ont fait la grandeur et le rayonnement de la France à un moment où n’existaient pas encore les fractures, dérives, actuellement observées… »
Les inquiétudes de Christian Piquemal au regard de « l’invasion sourde, mais rapide, du radicalisme religieux et du racisme anti blanc » lui ont valu de se faire cataloguer par certains médias à l’extrême droite. Même ses camarades militaires ont fait preuve d’une certaine frilosité lors de son arrestation. La Fédération des sociétés d’anciens de la Légion étrangère s’est désolidarisée de son action. Il a cependant pu compter sur quelques soutiens comme celui du général Bruno Dary et du général Didier Tauzin.
Au début des années 1990, Christian Piquemal avait exercé au sein des cabinets militaires de plusieurs Premiers ministres tels que Michel Rocard, Édith Cresson ou encore Pierre Bérégovoy…
Il s’est défendu d’être raciste, mettant en avant son passé :
« On n’est pas raciste, islamophobe ou xénophobe, a-t-il martelé. J’ai commandé la Légion étrangère pendant 5 ans, il y a 140 nationalités dedans. Donc s’il y a bien quelqu’un à qui on ne peut pas reprocher d’être raciste, c’est bien moi. »
En mars 2016, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a demandé à l’armée de Terre d’exclure le général Piquemal. En tant que gradé de deuxième section, il est toujours à disposition de son pays.
Source : Russia Today – Morphéus n° 77