On connaissait déjà nombre d’affaires de corruption, mais finalement avec l’apathie générale elles passent comme une lettre à la poste dans un climat d’indifférence, signe de l’écœurement de l’opinion publique française. L’affaire des 6 frégates Lafayette vendues à Taïwan a cependant quelque chose de très particulier. Ce ne sont pas quelques juges, quelques associations de citoyens, quelques journalistes qui demandent des comptes à l’état français mais un pays tout entier, à savoir Taïwan. Dans les annales de la corruption c’est une première tant pour les sommes engagées que pour les affaires qui devraient suivre. C’est tout le système français de vente d’armes qui est progressivement dévoilé.
Ces scandales vont coûter cher, très cher aux contribuables français, l’équivalent de 83 000 années de salaire d’un ouvrier, 1 milliard d’euros, dans un premier temps.
Comment en sommes nous arrivés là ?
Pour éliminer tout concurrent et arracher un marché de ventes d’armes, il est d’usage de corrompre les amiraux de l’état acheteur. Plus les problèmes et entraves au contrat persistent plus les commissions montent, plus le prix des armes monte. C’est ainsi que le prix d’une frégate vendue à Taïwan est passé de 1,225 milliard à 2,495 milliards au final. D’un commun accord les deux parties ont gonflé artificiellement les tarifs pour grossir leur part du gâteau. Ces pratiques semblent courantes pour ne pas dire systématiques. 1 milliard de francs de commissions occultes ont été versées aux militaires corrompus de l’Amirauté taïwanaise. C’est dans ces conditions que le contrat « BRAVO » a été signé le 5 août 1991 pour livrer 6 frégates françaises à Taïwan.
Rétrocommissions
En matière de vente d’armes, des rétrocommissions sont versées aux partis politiques français selon un système de répartition précis : 70 % pour ceux qui sont au pouvoir et 30 % pour ceux de l’opposition. L’art qui consiste à maquiller et blanchir ces sommes est bien rodé. Pour couronner le tout, les pièces comptables compromettantes sont soit détruites, soit classées Secret Défense. Le tour est bouclé, pas de preuves, pas vu, pas pris, et l’argent coule à flot dans les caisses noires du personnel politique français.
Assassinats en série dans l’affaire des frégates
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si huit morts suspectes n’avaient pas mis le feu aux poudres dans cette affaire. Le commandant Yin de la Navy taïwanaise découvrit le niveau de corruption de ses supérieurs lors de l’achat des frégates. Il fut éliminé en décembre 93. Toute une série de morts suspectes vont entacher cette vente d’armes…
Dès lors, des juges taïwanais vont reprendre le dossier et enquêter pour faire toute la lumière. Aujourd’hui, ils estiment que la surfacturation des frégates s’élève à plus de 6 milliards de francs, 1 milliard d’euros. Pour tenter d’élucider tant les affaires de meurtres que de corruption, Taïwan a demandé la levée du secret défense français. Or, la France (gauche et droite confondue) refuse systématiquement, opposant le secret défense à toutes les demandes des juges français, suisses et taïwanais qui enquêtent sur ces meurtres.
Mirage 2000, missiles Mica et Tango
Les autorités taïwanaises examinent à présent tous les contrats passés avec la France. Tentant de faire le ménage au sein de sa Navy, Taïwan évalue le degré de surfacturation et les commissions occultes versées à son propre état major. Les contrats des Mirages 2000, Tango et missiles Mica sont passés au crible… Nul doute que la facture portera sur plusieurs milliards de francs ouvrant sur d’autres scandales…
À vos portefeuilles, contribuables
Si l’état taïwanais ne peut élucider toute l’affaire à cause de l’outrageant Secret Défense français, en revanche, il est en droit d’exiger le remboursement des surfacturations soit 1 milliard d’euros juste pour les frégates. D’autres factures de ce type et d’autres scandales suivront.
L’État français se portant garant dans les contrats d’armement, c’est nous, contribuables français, qui allons devoir payer la note. Il est vrai que quand il s’agit d’argent public la mise de fond est toujours illimitée. Tous les meurtres dans cette affaire ne seront vraisemblablement jamais élucidés. Le système mafieux de commissions et rétrocommissions continuera à fonctionner parfaitement, alimentant les caisses noires de nos politiciens.
Étant donné le marasme politique ambiant, et le peu de confiance accordé à nos politiques, il serait sage de la part de nos gouvernants de lever le secret défense et de faire le ménage concernant ces pratiques. La sanction électorale pourrait être fulgurante et houleuse, évinçant brutalement tous les partis traditionnellement au pouvoir depuis 30 ans. Les extrêmes ont déjà le vent en poupe.
Il est vrai que la France d’en bas en a assez de devoir payer sans broncher les factures de la corruption de la France d’en haut… Le Secret Défense ne saurait être maintenu s’il couvre des assassinats et des systèmes de commissions occultes…
Frédéric Morin
Source : enquête du juge Thierry Jean Pierre,
Taiwan Connection, éditions Robert Laffont. Nov. 2003