Souverain de l’Inde de 273 à 236 avant J.-C., Ashoka de la dynastie de Mauryan institue sous son règne le principe de non-violence. Il parviendra à faire triompher le droit, la vertu d’accueil et la promotion du bien-être, sur la force. Converti au bouddhisme, il opéra une synthèse entre préceptes bouddhiques et administrations politico-judiciaires. Véritable roi-moine, il cultivera l’exemplarité jusqu’aux moindres détails promulguant des édits sur plus de 80 000 stupas à travers son empire. Ses édits touchent la protection des animaux et des plantes, la construction de puits, de maisons de repos et d’accueil sur les routes de l’Empire, la plantation d’herbes médicinales, d’arbres fruitiers sur l’ensemble du territoire et aux frontières, la diplomatie et l’assistance aux pays voisins, les préceptes à suivre pour le bien-être à l’intérieur et à l’extérieur de l’Empire, la tolérance religieuse, l’éthique sociale et individuelle, etc… Ces édits inscrits sur des blocs de pierre furent écrits en différentes langues : grec, aramide, brahmi, sanskrit, pali ou autres dialectes d’alors. Inscrivant à l’entrée du royaume que les pays voisins ne doivent pas le craindre, que seule la paix tournée vers le bien-être des peuples porte des fruits en ce monde et au-delà, il sera respecté de tous.
Alors qu’un Machiavel préconise la division des forces pour régner, Ashoka préconise la coopération de tous pour régner idéalement. Le pouvoir d’un roi ne consiste pas à se servir, mais à servir dans tous les sens du terme, par l’intelligence, par la dévotion, par le respect, par l’enseignement des lois qui mènent à l’éveil et la persuasion. La finalité de la régence Ashoka fut sans nul doute le bonheur et le bien-être des peuples.
Comment un homme dirigeant un Empire est-il parvenu à faire de la paix, du bonheur et de l’éthique individuelle les règles indéfectibles d’une vaste administration impériale ?
Au tout début de son règne, Ashoka engagea une terrible guerre contre l’armée de Kalinga. A la tête d’une armée de 100 000 hommes, il écrasa l’ennemi. Cette guerre fit 100 000 morts, des milliers d’éléphants et chevaux périrent également. Sur le champ de bataille, à perte de vue jonchaient, pêle-mêle, les cadavres d’hommes et d’animaux. Un lac entier fut souillé du sang des soldats. 100 000 familles furent déportées et la famine fit rage parmi les orphelins, les femmes et les vieillards, tuant encore plus de monde. Au milieu de cet univers dantesque Ashoka fit le serment, de ne plus jamais faire la guerre et d’instaurer la paix. L’agonie des blessés et ce macabre spectacle de désolation hantèrent son esprit à tout jamais. Il comprit que les flammes de la guerre, non seulement brûlent et détruisent sur le champ de bataille, mais elles continuent à empoisonner les esprits et les vies des survivants jusqu’à leur mort. La guerre de Kalinga, fut sa première et sa dernière guerre. Sa conversion au bouddhisme lui donna les outils conceptuels, éthiques et spirituels pour construire un royaume non violent jusqu’à sa mort en 236 avant J.-C.
Ashoka de la Légende à l’Histoire
Jusqu’au XIXe siècle, Ashoka fait figure de légende dans les textes bouddhiques et est calomnié par les défenseurs du système des castes en Inde. En 1837, le premier édit inscrit sur un pilier de pierre à Delhi est traduit par James Princep. Cependant, l’édit parle du roi Piyadasi surnommé l’Aimé des Dieux. Ce n’est qu’en 1915, grâce au décryptage d’une autre stèle, que l’on découvrira qu’Ashoka se surnommait le roi Piyadasi « l’Aimé des Dieux ». Les édits du roi Ashoka inscrits sur des stèles de pierre pesant jusqu’à 50 tonnes, se retrouvent sur l’ensemble du territoire indien, au Népal, au Pakistan, en Afghanistan. Même si Ashoka est passé de la légende à l’histoire après 2 300 ans d’oubli, les traces de son règne demeurent fragmentaires et beaucoup reste à faire du point de vue archéologique. Ses édits sont d’une tonalité personnelle, répétitive et simple s’adressant au peuple, promulguant des conseils pour la vie quotidienne sur la base d’une éthique individuelle. Certains édits étaient lus lors de fêtes ou cérémonies annuelles telles que les excuses du roi au peuple pour la guerre de Kalinga. Il est clairement établi à travers tous les écrits d’Ashoka que l’état a la responsabilité du bien-être et de la protection de tout être vivant. La protection d’espèces animales et végétales, la protection de réserves forestières, l’interdiction de toute cruauté envers les animaux domestiques, le devoir d’assistance médicale sur tout l’Empire, la protection de toute religion, la stimulation de l’harmonie inter-religieuse font partie des fonctions de l’État. Le roi encourage sur tout le royaume la générosité envers les pauvres, la solidarité envers les malades, le respect envers ses proches, voisins, professeurs, donnant l’exemple lors de ses visites dans chaque province de l’Empire. Il reforme également le système judiciaire pour les condamnés à mort. Des délais sont accordés pour faire appel, pour faire amende honorable en pratiquant assidûment l’ascèse, ou pour solliciter une amnistie, régulièrement accordée sous certaines conditions. Ce personnage historique nous donne un exemple jamais égalé dans l’histoire des rois et des régimes politiques.
Les édits d’Ashoka
La retranscription d’extraits en français ci-dessous traduit l’esprit plutôt que la lettre. Certains termes, formulations ou titres en dialecte de l’époque ont été retirés du texte. Certains écrits sont passés d’un dialecte initial, au sanskrit, retranscrit en anglais et traduit par nos soins en français. Ces extraits d’édits sont classés ici par thème ce qui ne correspond pas forcément à l’ordre initial inscrit sur les stupas.
Respect et Vérité
Rescrit sur pierre mineure 2
« Le roi Asoka le décrète ainsi : Le respect dû doit être présenté à la mère et au père ; également aux aïeux. Considération, respect et protection de tout être vivant doivent être fermement établis. La vérité doit être dite. Les valeurs de cette éthique individuelle et sociale doivent être proposées. Les élèves doivent honorer les professeurs, les parents doivent être bien estimés. Voici une loi de longue date, cela doit être pratiquée. Inscrit par le scribe Chapada ».
Rôle et fonction du Roi
« Dans le passé, des affaires d’état n’ont pas été traitées faute de rapports du peuple fournis au roi. A présent, j’ai donné ordre que les rapports me soit donnés à toute heure. Que je sois au lit, dans le char, dans le palanquin, dans le parc, dans le quartier des femmes, tout rapport relatif aux affaires du peuple doit m’être transmis où que je sois afin de traiter ces affaires et donner des instructions appropriées. En tant que roi et pour le bien-être de tous, ceci est mon devoir. Il n’y a pas de tâche plus noble que celle qui consiste à favoriser le bien-être de toute personne. Par mes propres efforts, je ne fais que rembourser ma dette de reconnaissance envers tous les êtres en assurant leur bonheur dans cette vie, et en leur permettant de suivre la voie de l’illumination, seule finalité de tout être vivant ».
« Les rois dans le passé partaient en excursions pour leur propre plaisir, chassant et se divertissant. A présent, le roi part en excursion pour instituer et enseigner le respect de toute vie. Pendant ces excursions, le roi visite et offre des cadeaux aux brahmanes et aux ascétiques, il offre de l’or aux anciens, il rencontre les gens dans la campagne, enseignant la Loi, et dialoguant avec eux comme il convient. Ces activités réjouissent le cœur de l’Aimé des Dieux au delà de tout autre plaisir ».
« Douze ans après mon couronnement, j’ai commencé à promulguer des édits écrits pour le bien-être et le bonheur du peuple, de sorte qu’en ne les transgressant pas le peuple acquière sagesse et discernement. Comment faire perdurer le bonheur du peuple ? En faisant en sorte que chaque personne offre toute son attention à ses parents, ses voisins, ses proches avec le cœur de les mener au bonheur et d’agir en conséquence. Moi-même, je fais la même chose pour tous les groupes. J’ai honoré toutes les religions de diverses manières. Mais je considère qu’il est toujours préférable de rencontrer des personnes individuellement pour enseigner l’éthique qui mène au bonheur, et à la prospérité ».
Religions
« L’Aimé-des-Dieux, le Roi, désire que toutes les religions résident dans le Royaume, car toutes sont des moyens d’acquérir sagesse et pureté du cœur. Les hommes ayant divers désirs et passions, ils demeurent libres de pratiquer la religion de leur choix. Cependant, un homme généreux qui n’acquière ni sagesse, ni pureté du cœur, ni gratitude, ni ferme dévotion n’aura aucune grandeur ».
« L’Aimé des Dieux, le Roi, honore par ses cadeaux la pureté du cœur et la dévotion issues de toutes les religions. Cependant, aucun homme ne doit mettre sa religion en avant et condamner une autre religion sans bonne raison. Et s’il est juste de critiquer une religion, cela doit être fait de manière douce. Mais il est préférable d’honorer les autres religions. En faisant ainsi, on honore sa propre religion. En critiquant les autres religions, on nuit à sa propre religion. Par conséquent, le contact et l’échange entre les religions est bon. On devrait écouter et respecter les doctrines professées par d’autres. L’Aimé des Dieux, désire que tous connaissent les bonnes doctrines des autres religions. Ainsi, tous chemineront sur la voie de la bienveillance et la vérité morale s’en illuminera. Tel est le souhait du roi ».
« Massacrer ou nuire aux êtres vivants est un comportement erroné qui a perduré pendant des siècles. Mais aujourd’hui, le bruit du tambour a été remplacé par les enseignements élémentaires de Bouddha. Apercevoir des processions merveilleuses, des éléphants fabuleux, des corps de feu, des châteaux célestes, sont autant de signes divins qui ne se produisaient plus depuis longtemps. Maintenant, le massacre, la nuisance envers tout être vivant étant proscrits par l’Aimé des Dieux, l’enseignement du respect des lois éthiques, la générosité étant institués, de plus en plus de signes auspicieux apparaissent à travers tout le royaume. Ceci n’était pas advenu depuis des temps immémoriaux ».
Droit d’accueil et assistance
« Partout dans l’Empire et aux frontières de l’Empire le roi « Bien-aimé des Dieux », porte assistance. Celle-ci consiste en soins médicaux pour les hommes et en attention pour les animaux. Les herbes médicinales si utiles pour l’homme ou pour la bête, sont apportées et plantées partout où elles ne poussent pas naturellement. De la même façon, racines et fruits sont apportés et plantés partout où ils ne poussent pas naturellement. Le long des routes j’ai fait planter des arbres de banian de sorte qu’ils puissent donner l’ombre aux animaux et aux hommes, et j’ai fait planter des manguiers. À intervalles réguliers, j’ai fait creuser des puits, construit des abris, aménagé des fontaines pour les animaux et les hommes ».
Protection des animaux
« Autrefois, dans les cuisines du roi, des centaines de milliers d’animaux étaient tués quotidiennement pour leur viande et le carry. Aujourd’hui, seuls trois animaux sont tués rituellement, deux paons et un cerf. Mais à l’avenir, même ces trois animaux ne devront plus être tués ».
« Le Roi parle ainsi : Vingt-six ans après mon couronnement, les animaux suivants sont déclarés protégés et inviolables : les perroquets, les étourneaux, les arunas, les canards brahmane, les oies sauvages, les nandimukhas, les gelatas, les chauves-souris, les fourmis de la reine, les tortues d’eau douce, les poissons sans os, les vedaveyakas, les gangapuputakas, les patins, les tortues, les écureuils, les cerfs, les taureaux brahmane, les rhinocéros, les pigeons blancs, les pigeons communs, tous les quadrupèdes qui ne sont ni utiles ni comestibles. Les chèvres, brebis et truies avec des petits ou donnant le lait à leurs jeunes sont protégés, et ainsi sont les jeunes animaux de moins de six mois. Les cosses cachant les êtres vivants ne doivent pas être brûlées et les forêts ne doivent pas être brûlées sans raison au risque de tuer des créatures. Tout animal ne doit pas être donné à manger à un autre. Pendant les trois jours de Tisa et pendant le quatorzième et le quinzième jour de l’Uposatha, les poissons sont protégés et ne doivent ni être tués ni être vendus. Durant ces jours, dans les forêts d’éléphants et les étangs de poissons, aucune autre espèce animale ne doit être tuée ».
Administration et éthique
Le « Bien Aimé des Dieux » commande ceci : chaque province du Royaume sera inspectée par des émissaires pour enseigner l’éthique individuelle et sociale, veillant également à d’autres travaux administratifs. Ils instruiront mes sujets que l’obéissance aux aïeux et à la mère est excellente ; que la générosité envers les amis, les associés et les parents, les intellectuels et les ascètes, est aussi bonne que de s’abstenir de tuer des animaux. Posséder peu est également bon. Le conseil ordonnera aux fonctionnaires de veiller à ce que cet édit soit respecté dans la lettre comme dans l’esprit ».
« La bienveillance est difficile. Celui qui fait un acte bienveillant accomplit quelque chose de difficile. Négliger toute bienveillance est facile. J’ai accompli d’innombrables actes de bienveillance. La bienveillance sera autant pratiquée par mes fils, mes petits-fils que par les générations futures jusqu’à la dissolution de cet univers ».
« Autrefois, il n’y avait pas de fonctionnaires moraux. Depuis mon couronnement il y a treize ans, j’ai nommé des fonctionnaires qui incarnent l’éthique. Ils se sont engagés avec les dévots de toutes croyances afin d’établir de manière ferme l’éthique individuelle et sociale, pour son progrès, pour le bonheur de tous mes sujets et pour faire reculer l’immoralité. Ils sont employés parmi les grecs, les kambojas, les gandharas, les rachtrikas, les petenikas et les peuples frontaliers. Ils sont employés parmi les domestiques et les maîtres, parmi les intellectuels, les dépourvus et les âgés, pour leur bien-être et leur bonheur. Ils travaillent pour le traitement approprié des prisonniers afin qu’ils retrouvent la liberté. Si des prisonniers ont une famille à charge, s’ils sont vieux, s’ils acquièrent le respect et la pratique du Dharma, ils sont libérés… »
« Mes fonctionnaires sont nommés et ont à leur charge des centaines de milliers de sujets. Je leur ai donné la liberté de juger les cas et d’infliger les punitions. Pourquoi ? Parce que mes fonctionnaires doivent agir sans me craindre et avec confiance, s’efforçant d’assurer le bien-être et le bonheur des peuples en ville et des gens dans la campagne. Ils doivent être libres pour juger avec discernement et montrer au peuple ce qui est cause de bonheur et ce qui est cause de souffrance. Ils instruiront les gens en ville et en campagne sur les principes de l’éthique individuelle et sociale, afin que le salut puisse leur être à tous assuré ici et au-delà. Les fonctionnaires sont ravis de me servir et ils instruisent leurs agents de mes intentions. Les fonctionnaires furent nommés afin d’assurer le bien-être et le bonheur des gens de la campagne, ils peuvent exécuter leurs fonctions sans crainte, avec confiance, tranquillement et sans distraction. Pour cette raison je leur accorde ma confiance, la liberté de juger les cas et d’infliger les punitions ».
Conquête militaire et conquête du Dharma
« Le Roi a conquis le Kalinga huit ans après son couronnement. Cent cinquante mille ont été expulsés, cent mille soldats ont été tués et beaucoup plus sont morts des conséquences désastreuses de la guerre. Après que le Kalinga ait été conquis, le roi s’est converti au bouddhisme. Aujourd’hui il est plein de profonds remords pour avoir conquis le Kalinga. Cette conquête a engendré mort, souffrance, déportation de population. Des hommes au cœur pur et respectueux du divin en chaque chose sur ces territoires ont souffert ou ont été tués pendant cette guerre. Ces faits sont cause de souffrance pour « l’Aimé des Dieux »… »
« Il n’y a aucun pays, où des brahmanes, des ascètes ou dévots d’autres religions au cœur pur, ne se soient trouvés, pendant la guerre. Le massacre, la mort ou la déportation de un centième, ou même un millième de ceux qui sont morts pendant la conquête de Kalinga est cause de souffrance et de remords pour le roi. « L’Aimé des Dieux », le roi, pense que même ceux qui font du tort aujourd’hui devraient être pardonnés. Le roi a la puissance de les punir au besoin, de sorte qu’ils devraient avoir honte de leur mal mais ils ne doivent pas être tués. Ils doivent juste être suppliés et persuadés pour agir autrement ».
« Le roi souhaite réparer les dommages et le mal qu’il a suscité. Il souhaite offrir le bien-être à tous dans l’impartialité. La seule conquête qui ait une valeur à ses yeux aujourd’hui est la conquête par le Dharma qui insuffle bonté, respect, générosité, sagesse et pureté intérieure. C’est la meilleure conquête. Celle-ci a été gagnée ici, sur les frontières, jusqu’au confins du royaume, où le Roi grec Antioche règne, au pays de Ptolémée, d’Antigone, de Magas et d’Alexandre, même dans le sud parmi le Cholas, le Pandyas, et jusque Tamraparni. Dans le domaine du roi, parmi les Grecs, le Kambojas, le Nabhakas, le Nabhapamkits, le Bhojas, le Pitinikas, l’Andhras et le Palidas, les instructions du Dharma sont suivies. Cette conquête a été gagnée partout, et elle donne la grande joie, la joie intérieure que seule la conquête du Dharma peut donner… »
« J’écris cet édit pour mes fils et mes petits-fils afin qu’ils ne s’engagent pas dans de nouvelles conquêtes guerrières, que leur conquête soit celle du Dharma, la seule qui porte des fruits en ce monde et pour le prochain ».
Traductions, synthèse et adaptation de Frédéric Morin