Discuter d’éveil ou d’illumination avant la chute était quasi impossible entre terrestres. A peu près tous pratiquaient des égrégores sans même s’en rendre compte. Tous se prosternaient devant des pierres chargées, des statues infestées, des représentations sacrificielles, des mandala infernaux, ou de pures représentations démoniaques. Toutes les écoles luttaient les unes contre les autres, s’entre déchirant ou s’entre-tuant souvent. Les religions mutaient en unités de marketing psychiques sur le gigantesque marché mondial de la spiritualité. La distinction entre mondes infernaux et mondes célestes ne se faisait plus. L’esprit humain, harassé par les champs psychotroniques étatiques et les sollicitations psychiques des églises, ne percevait plus la frontière entre le bien et le mal.
Avec 5 000 dollars, vous pouviez ouvrir votre troisième œil ; 3 000 dollars vous accordait la rédemption éternelle dans certaines communautés ; pour les plus modestes, avec 500 dollars, on vous réalignait les chakras et on purifiait votre champ cosmo-tellurique. Pour les pauvres, certaines pastilles ou pin’s avec un signe dit « magique » pouvaient être vendus quelques dollars. Porte-bonheurs, grigris, cartes de la chance, objets en tout genre se vendaient par centaines de millions sur les cyber-plateformes.
Le marché sexuel de la spiritualité s’étendait aussi à toutes les couches de la société. Une jolie femme pauvre pouvait être sollicitée par des écoles de tantra, financée par des hommes « éveilleurs de conscience ». Le marketing des magies sexuelles belzébuthiennes, homosexuelles, bisexuelles, trans-sexuelles battait son plein, attirant de nombreux adeptes riches et moins riches. Les ustensiles les plus extravagants se vendaient comme de petits pains sur les cyber marchés. Les milliards coulaient à flots dans ce monde égaré et avide de bizarreries psycho-mentales et magico-sexuelles.
Certains, conscients de la situation, tentèrent de lutter contre toutes ces dérives en rejetant l’idée même d’éveil chez l’humain. Ils formèrent les écoles zététiques, n’accordant aucun crédit à l’existence de mondes célestes ou infernaux. L’homme sans âme n’était qu’un phénomène physico-chimique complexe, doué de représentation. Loin de stopper la frénésie magico-sexuelle, au contraire, ils l’accentuèrent. Puisqu’il n’y avait rien à attendre du ciel ou des enfers, le plaisir immédiat était en soi « la spiritualité ».
Les écoles d’ascétisme émergèrent à leur tour espérant offrir une autre perspective. Leurs adeptes se mortifiaient à chaque désir qu’ils éprouvaient, voyant en la sexualité une porte ouverte sur les enfers. Ils créèrent toutes sortes d’ustensiles pour se blesser : ceintures à clous, pointes, vêtements irritants, agencements de lames de rasoirs pour se scarifier, etc. Ils ouvrirent « les marchés de l’ascétisme » et, à force de psycho-marketing, eurent de nombreux membres. Malheureusement, leur existence donna lieu à l’ouverture de marchés parallèles sado-masochistes. Le développement de ces derniers fut sans égal. Avant la chute, presque toutes les familles avaient en leur sein un adepte de ces pratiques sado-sexuelles inspirées des pratiques ascétiques.
Enfin, dans ce monde en perdition, tous les contraires s’entremêlaient, ne faisant qu’accentuer l’inexorable décadence d’une civilisation sans repères.
Toutes ces questions sur l’histoire terrestre d’avant la chute avaient été évoquées lors du Concile Impérial des Six. A présent, il fallait tout remettre dans l’axe pour asseoir de manière pérenne la nouvelle civilisation émergente. En charge de la restauration des cathédrales à l’échelle européenne, Fred Manfred n’avait pu y assister. Il le regrettait amèrement. Cependant, il avait rendez-vous avec Glacyne un des principaux intervenants du Concile. Ce dernier venait l’aider pour régler quelques soucis avec les flux psi-ioniques d’anciens édifices religieux. C’était là une occasion rêvée pour discuter avec lui.
Fred Manfred avait bien conscience que ses conceptions sur l’éveil étaient somme toute limitées. Il avait eu jusqu’à présent une approche militaire de la question. Avec ses unités psychiques, il n’avait travaillé qu’à nettoyer les corps subtiles infestés par psychotronique égrégorique. Il savait bien que si les centres parapsychiques de ses voyantes étaient atteints, la bataille était perdue. Mille questions le taraudaient. Si un être a tous ses corps subtils, tous ses nadis, tous ses centres parapsychiques parfaitement purs, a-t-il atteint l’éveil ? L’éveil se résumerait-il à cela ? Qu’est ce que l’illumination ? Il avait bien conscience que nous devions, dans notre évolution, passer de dimension en dimension. Mais comment atteindre une dimension supérieure ? Par quel moyen ici présentement ?
C’est avec toutes ces questions restées sans réponse qu’il accueillit Glacyne à la cathédrale de Chartres.
— Bienvenue Glacyne !
— Bonjour Manfred ! Alors quelques soucis sur le champ psi-ionique en Europe ?
— Oui, en effet ! J’ai préparé un débriefing à 18h00 dans la crypte pour vous exposer le problème avec nos techniciens !
— Bon ! Ça nous laisse deux bonnes heures devant nous !
— Puisque nous avons ce temps puis-je vous poser quelques questions à propos de l’éveil ?
— Mais, je suis aussi là pour ça Manfred !
— Merci Glacyne ! Allons dans la crypte, nous y serons plus au calme pour discuter en attendant les techniciens.
Descendant les marches et s’installant dans la salle de réunion aménagée, Manfred était heureux de pouvoir enfin aborder ce sujet avec Glacyne.
— Glacyne, en quoi consiste l’éveil au juste ? Nous avons développé des technologies permettant de purifier les corps subtils, les nadis, tous les centres parapsychiques et énergétiques du cosmique au tellurique de nos voyantes. Ont-elles techniquement ainsi pu atteindre l’éveil ?
Glacyne : « Les impératifs de la guerre contre la confédération psychotronique de votre planète, nous ont contraints à vous transmettre des techno-préceptes en toute hâte. Votre survie était en jeu. Il était donc karmiquement acceptable de vous faire faire un saut quantique, tant conceptuel que techno-spirituel. Vous vous retrouviez ainsi à « armes égales » face au Consortium psi du complexe militaro-industriel. Il vous a donc été possible de maintenir les fronts de la guerre psychotronique et de vaincre sur Terre. La formation accélérée que vous avez reçue, sous la contrainte des conflits, équivaut à 1 000 ans d’évolution dispensée en seulement quelques années. Il y a donc plusieurs lacunes à combler qui sont parfaitement compréhensibles. Je vais m’y employer.
« Dans votre ancien monde, une voyante, ou une personne en capacité de faire des voyages astraux, étaient considérées comme des êtres plus évolués que le commun des mortels. Force est de constater que 99 % de ces êtres aux facultés parapsychiques ont été employés par votre complexe militaro-industriel pour dominer et rendre ignorants tous les habitants de votre planète. En quoi furent-ils plus évolués ? Ils n’ont fait que participer à des forces d’involution globale par égoïsme, par complaisance, parfois par manque d’esprit critique ou de courage.
« La voyance n’est qu’une faculté parmi des milliers d’autres. Elle n’est pas en soi une marque d’éveil, elle peut être orientée vers le bien ou vers le mal. Le fait qu’un sportif soit capable de porter 150 kilos au-dessus de sa tête, cela fait-il de lui un être de bien plus évolué que vous ? Non ! Il en va de même pour les êtres aux capacités parapsychiques.
« Ce qui est primordial pour toute entité biologique intelligente c’est le libre arbitre. Il peut s’orienter vers le mal ou vers le bien. Les facultés et aptitudes sont des corollaires. Seule la volition intérieure est véritablement déterminante. À partir de cette volition, se développe progressivement la capacité à distinguer le bien du mal. S’exerce alors une acuité mentale toujours plus fine, visant à augmenter l’efficacité du choix initial.
« Si l’objectif est le mal, l’être se chargera d’énergies et intelligences venant des mondes infernaux de dimensions inférieures. Il optimisera ainsi sa capacité à faire le mal.
« Si l’objectif est le bien, l’être se libérera de toute énergie et égrégores infernaux. Il se chargera alors d’énergies et intelligences émanant des mondes célestes. Il optimisera ainsi sa capacité à faire le bien.
« L’éternelle guerre entre le bien et le mal se joue donc à partir du libre arbitre en chacun de nous. Ainsi, se manifeste la lutte entre ceux qui ont choisi de respecter les lois de la création et ceux qui tentent de les détourner et de les dominer.
« Tout ce qui s’oppose à la création est statique, et involutif. Or, tout ce qui involue est voué à s’éteindre, en s’enfonçant dans la nuit éternelle. Telle est la voie inversée de ce que vous appelez un “mage noir”.
« En ce qui concerne l’éveil véritable, on peut dire qu’il est une formidable dynamique évolutive infinie qui a des règles dimensionnelles et cycliques. Vous avez sur Terre de multiples métaphores relatives à la pesée des âmes. En effet, une âme a un poids variant selon la charge égrégorique contenue dans les canaux subtils de l’être. Si cette âme est trop lourde pour demeurer dans cette dimension, elle passe en dimension inférieure. Par contre, si elle est devenue trop légère pour demeurer dans cette dimension, elle passe en dimension supérieure. L’être sur Terre a en moyenne une incarnation de 72 ans durant laquelle il peut exercer son libre arbitre. À la fin de ce cycle, il passe à la pesée. Ainsi s’organisent les dimensions matérielles et submatérielles de notre cosmos, avec la redistribution des âmes qui leur correspondent.
— Glacyne, je comprends bien à présent l’aspect dimensionnel du cosmos. Cependant, existe-t-il une voie, un enseignement universel permettant de s’élever dimensionnellement ? Quel est-il ?
Glacyne : « Je comprends qu’avec les milliers de religions terrestres qui se sont entrechoquées durant des millénaires, les cartes soient un peu brouillées à ce sujet sur votre planète. Les enseignements spirituels ultimes ont toujours existé sur Terre, même s’ils furent de tout temps dénaturés, cachés, parfois détruits. Vous disposez par exemple d’un corpus d’enseignements appelé “bouddhisme”. Ce corpus est composé de 84 000 enseignements qui correspondent schématiquement aux 84 000 aspects subtiles de votre être qu’il vous faut purifier pour vous élever. Après ce que vous nommez les “soutra”, les enseignements les plus élevés sont les “tantra”. Ces derniers ne peuvent être pratiqués que par des êtres qui sont parvenus à profondément purifier leurs corps subtils et leur mental. Si l’activité érotico-sexuelle peut être un vecteur de chute spirituelle quand elle est dévoyée, en revanche l’union d’êtres purs est le vecteur ultime d’élévation spirituelle, tant pour l’homme que pour la femme. De fait, certains centres subtils masculins ne peuvent être purifiés que par une puissante énergie féminine, et inversement.
« De toute éternité et dans tout le cosmos, l’éveil qui permet d’accéder à une dimension supérieure se réalise ainsi. L’ultime trinité cosmique se résume à un homme, une femme et le fruit de leur union. D’ailleurs, dans toutes les mythologies exoplanétaires, le cosmos est le fruit de l’union éternelle d’une déesse primordiale et d’un dieu. Tous les véritables éveillés de votre monde ont pratiqué cette voie pour y parvenir. Derrière cet éveil masculin apparent, se cache un éveil féminin discret mais primordial. L’être que vous nommez Padmasambhava n’est bouddha que grâce à son union avec la femme éveillée Yéshé Tsodjial. Dans votre ethnie indo-tibétaine, les femmes bouddha étaient nommées “dakini”. Elles avaient leur propre école secrète visant à la réalisation de l’homme de leur choix et d’elle-même. En cela, elles ont toujours été en parfait accord avec les lois cosmiques qui régissent l’univers et l’ascension des civilisations planétaires.
« À ce propos, le Concile a statué pour rétablir officiellement les ordres féminins sur tous les continents. A l’unanimité, nous nous sommes accordés pour le nommer Ordre des Dakinis. Les dakinis européennes auront avec votre concourt la charge des cathédrales. Il va vous falloir composer avec ces Dames, Manfred. D’ailleurs, concernant notre réunion…
— Bonjour messieurs. Je me présente : je suis Olga Branova, spécialiste en radionique, officier impérial d’Illiouchka Illianov. Je viens apporter mon concours aux problèmes que vous rencontrez. Par ailleurs, je suis mandatée par le Concile des Six pour établir avec mes sœurs nos quartiers dans cette cathédrale. Vous êtes Manfred, n’est-ce pas ?
Bredouillant, surpris par cette intrusion aussi impétueuse qu’inattendue, Manfred reprit ses esprits en disant :
— Euh, bon, oui, je suis Manfred. Asseyons-nous tous ! Par quoi commençons-nous ?
Chroniques de l’Âge d’or,
© Frédéric Morin, 9 août 2019
Morphéus n° 95