Les archives des Guygnard, notaires royaux de Chartres, révèlent comment le financement de la construction fut organisé. Les liasses versées aux minutes notariales embrassent la période comprise entre le XIe et le XVe siècle. Pendant le siège de Chartres, effectué par Henri IV, ces archives subirent une première destruction importante. Afin de sauver ce qu’il en restait, les notaires chartrains en confièrent une liasse à leurs cousins, notaires à Molitard. Ils conservèrent une autre liasse en leur fief de la Guignardière, dans la paroisse percheronne de Frétigny. En 1870, cette dernière liasse disparut.
L’insuffisance des ressources locales
Le financement de la construction fut aléatoire car la population ne pouvait supporter toutes les charges de main d’œuvre. Le pays chartrain et les Capétiens directs, coincés entre le royaume anglo-normand et le Saint-Empire germanique, n’étaient pas assez riches pour financer la construction du monument. Dans leurs cartulaires latins, les scribes du Moyen-Âge avouent que le duc de Bretagne et le roi de Norvège investirent d’importantes sommes d’argent dans la construction du monument. Le roi de Norvège envoya aussi des milliers d’ouvriers, faisant de Chartres une ville norvégienne. La population des campagnes transportait gratuitement les matériaux de construction, ainsi que le ravitaillement de tous les ouvriers et artisans. Les scribes reconnaissaient que les dons affluaient de toute part. Durant le Moyen-Âge, les Normands jouissaient effectivement d’un niveau de vie plus élevé que celui des habitants des autres duchés, parce qu’ils ne toléraient pas le servage et parce que leur monnaie et richesses circulaient librement. Néanmoins, il fallait aussi assurer le salaire de tous ces ouvriers pour qu’ils puissent subvenir aux besoins de leurs familles. Les disponibilités numéraires de la ville étaient insuffisantes pour financer la construction d’un monument aussi gigantesque pour l’époque. Chartres n’était encore qu’une petite ville de quelque huit mille habitants, qui avait été brûlée en 743 par le duc d’Aquitaine Hunald, descendant des Mérovingiens.
Un financement irrégulier
En 1210, les chroniques rapportent que le roi Philippe-Auguste assista à une messe dans le bas de la cathédrale qui venait d’être achevé. Il venait arbitrer un conflit entre les chanoines et les ouvriers qui s’étaient mis en grève parce qu’ils n’étaient pas payés et parce que le doyen du chapitre avait décidé de supprimer les prières en vieux-danois. Une grande partie de la population s’était révoltée et le doyen dut se réfugier dans la cathédrale car sa maison était mise à sac. Dans le même temps, la population saxonne d’Évreux égorgeait la garnison française au cours d’un banquet. A cette époque, les ouvriers norvégiens groupés en syndicats (fêlag) savaient défendre leurs droits contre le droit féodal français ! Ces grèves, qui éclataient à cause du financement irrégulier, retardèrent l’achèvement du monument de plus de quinze années. On suppose que Philippe-Auguste essaya de rétablir l’ordre en douceur en donnant un peu d’argent mais, de Hugues Capet à Philippe-le-Bel, le trésor des Capétiens était toujours vide et il en fut de même sous les Valois.
Les lignes commerciales du Nord jusqu’en Amérique
En fait, le financement provenait du Groenland et de l’Amérique du Sud. Les Dames de Saint-Fort sollicitèrent la générosité de leurs consœurs du Groenland occidental, les moniales bénédictines de l’abbaye Saint-Olaf. Elles détenaient le monopole d’exploitation des mines groenlandaises d’or, d’argent, de cuivre et d’étain. Elles recevaient aussi de l’or, de l’argent et de l’étain de leurs sœurs américaines, les Amazones de la Grande Irlande du Sud (Amérique du Sud), qui contrôlaient les mines des Andes.
Dans un document encore déchiffrable, qui confirme les usages commerciaux scandinaves, il est expliqué qu’en échange de l’or, de l’argent, de l’étain et des agates venant directement ou transitant par le Groenland, les Dames de Saint-Fort expédiaient de l’orge, du blé, des tonneaux de vin, d’hydromel et d’huile. L’huile était extraite des faines des hêtres poussant dans les forêts du Perche et de Senonche. Les moines et les moniales du Groenland appréciaient tous ces produits.
Un troc entre Chartres et le Groenland rendu possible pour deux raisons :
L’identité de la langue et de la religion qui était encore teintée de paganisme et la richesse agricole de la Beauce. En 1910, les anciens agriculteurs de la périphérie chartraine connaissaient encore le proverbe « Chartres en Biauce, ville normande » car Biauce est le vrai nom de la Beauce. Etymologiquement, Biauce est la transcription phonétique du norrois « bjóð » qui signifie « plaine plate, plateau ».
Au XIe siècle, la Beauce, qui avait été défrichée par les colons francs, produisait des céréales en quantité appréciable. Autour de Chartres, à Mainvilliers et Lèves, poussaient de beaux vignobles qui existaient encore à la fin du XIXe siècle.
Du côté de Mainvilliers, les dernières dynasties de vignerons survécurent jusqu’au début de la première guerre mondiale. Les apiculteurs étaient nombreux et leur miel était excellent.
Le métal précieux était convoyé par les marins dieppois
Des contrats en lambeaux provenant des archives de la compagnie de navigation et de commerce de Rouen et de la compagnie des chantiers navals de Rouen, qui appartenaient aux chanoinesses de Chartres, indiquent que des lignes régulières fonctionnaient, d’avril à septembre, entre la Normandie, le Groenland et l’Islande. Les navires mouillaient dans le port de Rouen où se trouvaient les entrepôts. Ce commerce fut favorisé par le rattachement de Chartres au royaume anglo-normand.
Grâce à cette puissance financière, les Dames de Saint-Fort détenaient les pouvoirs spirituels et temporels dans les affaires de la cathédrale. Le clergé romain, qui devait occuper une position subalterne, ne pouvait s’opposer aux messes odiniques célébrées sur tous les autels de la cathédrale. C’est pourquoi, il tenta vainement d’entraver les livraisons en provenance du Groenland.
Le cellier de Loens
Les métaux précieux et les autres dons étaient transportés vers l’entrepôt de Chartres, appelé grenier ou cellier de Loéns. Ce vaste bâtiment est situé près de la cathédrale. Il fut construit dès l’occupation de Chartres par le viking Hasting, trente-six ans avant l’arrivée de Rollon, et servit provisoirement de cathédrale. Les Dames de Saint-Fort en ordonnèrent la construction pour entreposer leurs richesses. Il correspondait par un labyrinthe avec la crypte païenne de la cathédrale. De tels labyrinthes défendaient les accès de toutes les cryptes normandes. Dans leurs cartulaires, les Dames de Saint-Fort consignaient minutieusement les arrivées de lingots d’or et d’argent. L’irrégularité des livraisons explique les fluctuations du financement de la cathédrale.
Source : « La cathédrale druido-odinique de Chartres »
vol. 1 pp.20-21 de Romuald Skotarek d’après
les travaux de Maurice Guignard
(2 fascicules illustrés A4, brochés de 36 pages chacun).
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Extraits Morphéus n° 94