Nous avions fait la une du numéro 63 de Morphéus sur les dangers du Grand Marché Transatlantique qui fera passer le droit privé des multinationales au-dessus de nos lois et réglementations. Une militante ayant décidé de manifester contre ce Traité, raconte la répression dont elle a été victime le 15 mai 2014 à Bruxelles, lors du Business European Summit.
« Consciente de la menace que le projet de traité transatlantique (TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership) fait peser sur notre démocratie, notre législation sociale, environnementale et sanitaire, j’avais décidé de me joindre le 15 mai dernier à l’action « Je cours pour nos droits », dans l’optique de participer concrètement à l’encerclement symbolique du Palais d’Egmont où se tenait ce jour-là, le Business European Summit concernant le TTIP ».
« Ne souhaitant nullement la confrontation avec les forces de l’ordre, mais considérant légitime une action non violente fondée sur la défense de la démocratie, j’ai quitté la place Poelaert lieu de la manifestation, brandissant un petit panneau « Je cours pour l’accès de tous aux soins de santé » et entamant avec une dizaine d’autres personnes une course relais en direction du Palais d’Egmont.
Nous engageant dans la rue du Grand Cerf, vers le boulevard de Waterloo, nous apercevons une rangée de policiers barrant la rue à hauteur de son intersection avec ce boulevard. Les voyant s’écarter lorsque nous nous approchons d’eux, je pense, bien naïve, qu’ils ont compris que nous manifestons pacifiquement et acceptent de nous laisser passer. Mais aussitôt, ils nous rabattent vers un autre groupe encerclé sur la droite : la souricière… et sans qu’il y ait eu la moindre sommation, nous voilà d’emblée piégés !
D’autres personnes — dont plusieurs manifestants qui étaient en chemin pour rallier le rassemblement place Poelaert, mais également de simples passants totalement étrangers à la manifestation — se font encore coincer de la sorte après nous. Et plus nous devenons nombreux à l’intérieur du cercle, plus les policiers resserrent le cordon qu’ils forment autour de nous, l’un d’eux usant de sa matraque tenue à l’horizontale pour me pousser violemment dans les reins tout en m’invectivant avec hargne.
Au bout d’un moment, un groupe de manifestants arrive de la place Poelaert par la rue des Quatre Bras et, toujours pacifiquement, interpelle les policiers pour tenter d’obtenir qu’ils nous relâchent. Rien n’y fait, pas même les frasques d’une petite troupe de clowns inoffensifs venus détendre l’atmosphère ! Au contraire, la répression policière s’intensifie de tous côtés et le canon à eau anti-émeute s’avance, aspergeant d’un jet puissant pour les disperser, tous les manifestants regroupés de l’autre côté de la barrière policière qui nous encercle. Tandis que commencent parmi nous des arrestations tout à fait arbitraires, musclées quelquefois lorsque d’aucuns font mine de résister.
Je fus arrêtée peu avant 11 h par un jeune policier casqué, m’empoignant le bras gauche avec une force démesurée que rien dans mon attitude ne justifiait. Comme je lui répétais qu’il me faisait mal, il desserra toutefois progressivement son emprise. Plus loin sur le boulevard, à hauteur d’un magasin Hermès, je fus fouillée par une policière avant que mes mains soient menottées dans mon dos à l’aide de trois colliers en plastique. Je fus alors contrainte d’aller m’asseoir par terre, jambes écartées pour me coller en file indienne derrière d’autres femmes déjà au sol. Pendant près d’une heure, il nous fallut attendre dans cette position très inconfortable qu’arrive le car de police à bord duquel nous allions nous faire embarquer.
J’assiste alors à une interpellation policière d’une violence totalement gratuite : une dame se tenant à une dizaine de mètres de nous s’enquiert amicalement de notre sort et nous encourage, lorsqu’un policier lui ayant intimé l’ordre de s’éloigner l’arrête également pour n’avoir pas obtempéré sur-le-champ. Elle ne lui oppose aucune résistance, il l’attrape en l’enserrant avec ses bras par la gorge, la traîne ainsi jusqu’à nous où il la plaque au sol visage contre terre, lui appuyant fortement un pied sur le corps pendant que des collègues lui menottent les mains dans le dos avant de l’emmener.
Ralentissant à peine au passage des dos d’âne, le car nous conduira aux casernes d’Etterbeek, où nous resterons de longues heures dans des cellules glaciales, sans pouvoir ni boire, ni manger, ni même nous rendre aux toilettes. Tout cela ne fut possible que peu avant le terme de notre détention, survenu vers 17 h 30, après que tous aient été fouillés une nouvelle fois et dûment fichés.
Pendant quelques jours s’ensuivirent dans mon cas des contractures musculaires au niveau des jambes et de l’abdomen, ainsi qu’un sentiment d’insécurité en croisant en ville des policiers en uniforme – un comble alors qu’ils sont supposés assurer notre sécurité !
Je reste profondément scandalisée par cette répression policière, tant par le nombre d’arrestations (301) que par la débauche de moyens mis en œuvre.
Mon impression est que les autorités, anticipant peut-être des mouvements sociaux de plus grande ampleur, ont voulu se servir de notre action pour rôder un dispositif répressif…
Je conclus ici mon témoignage, appelant à ne pas nous laisser intimider par de telles manœuvres, et à continuer de nous mobiliser ensemble chaque fois qu’il s’agira de défendre le droit inaliénable à une vie digne pour toutes et tous ! »
Marie-Françoise Cordemans, publié le 25 juin 2014