Dès sa plus tendre enfance, son père, qui était commerçant, l’avait mêlé au mouvement d’expansion hellène, qui avait poussé tous les Grecs avides de richesses dans cette invasion paisible de l’Egypte depuis le siècle précédent. Il avait donc participé aux premiers trocs entre Egyptiens et Ioniens sur une des rives du Nil. Il avait lui-même échangé du sel contre du tissu de lin. A cette époque déjà bien lointaine, le petit Thalès ne savait évidemment pas lire, ni écrire. Mais son air intelligent et sa jeunesse firent que des prêtres de Saïs, grands amateurs de belles soieries, le prirent en sympathie, lui enseignant même quelques rudiments de la langue parlée populaire, qu’il assimila sans difficulté. Contents d’une belle étoffe que le jeune adolescent leur avait apportée en remerciement d’un scarabée qu’ils prétendaient sacré et qu’ils lui avaient déjà offert, les prêtres, peut-être par dérision, entreprirent de lui révéler un « grand secret » avant son retour pour la Grèce.
Installés sur la plus haute terrasse du temple, et entourés de certains instruments, le jeune Thalès apprit avec ravissement les premiers rudiments de l’étude du ciel, du soleil, de la lune, de la terre, ainsi que des principaux mouvements qui les animaient les uns et les autres. Les dieux de l’Olympe et leurs insignes faveurs aux vivants étaient balayés par le savoir qui lui était révélé !
Il apprit même un fait très intéressant, à savoir que l’ombre projetée par la terre dans l’espace se refléterait sur notre astre solaire, l’obscurcissant de l’éclat de ses rayons durant une bonne heure, un jour précis. Durant ce temps, la lumière disparaîtrait totalement, laissant la place à une obscurité peut-être inquiétante, mais bien naturelle, sur la Grèce notamment.
Avec les connaissances rudimentaires acquises lors de ce premier voyage en Egypte, Thalès avait compris le parti qu’il pouvait tirer de ce qui se produisait au-dessus de sa tête. Dès son retour à Milet, il en avait usé et même trop abusé, car ce qui était considéré comme des vantardises parvint aux oreilles des servants du temple de Zeus qui le firent venir s’expliquer.
Craignant malgré tout, les foudres de ce dieu Jupiter, il raconta en toute naïveté aux prêtres intéressés la fameuse prédiction de l’éclipse du soleil qui lui avait été faite à Saïs, pour le vingt-huitième jour de mai de cette année-là, et à la quinzième heure ! Sans l’expliquer eux-mêmes car ils en étaient bien incapables, ils comprirent qu’il s’agissait d’une éclipse totale de notre astre du jour.
Les prêtres du grand temple de Jupiter virent là un signe envoyé par Zeus lui-même à leur secours, car depuis des semaines ils tentaient d’arrêter une guerre fratricide ensanglantant Mèdes et Lydiens, mais en vain ! Cette lutte s’éternisait à tel point qu’aucun des deux belligérants ne connaissait même plus l’origine du différend qui les avait opposés primitivement.
Cette singulière prédiction rapportée par le jeune Mnésarchos, et prise au sérieux par les prêtres qui connaissaient la valeur de la science des Egyptiens concernant l’étude du ciel, leur fit envoyer un plénipotentiaire aux deux généraux adversaires, afin de les aviser d’un « ultime avertissement » céleste :
« Si les armées des deux peuples frères, Mèdes et Lydiens, ne déposent pas les armes solennellement et définitivement pour vivre enfin en paix, avant la quatorzième heure du vingt-huitième jour de ce mois, nul des deux combattants ne gagnera plus la guerre, car le lieu même du champ de bataille s’obscurcira et le soleil en colère disparaîtra de leur vue afin de les laisser périr aveuglés dans d’horribles souffrances !… »
Les quolibets et les ricanements des protagonistes cessèrent évidemment avec le début de l’éclipse du soleil ! Une telle frayeur saisit les soldats des deux camps, qu’ils jetèrent leurs armes et se précipitèrent dans les bras les uns des autres afin de montrer au soleil qu’ils étaient tous frères avant que le globe lumineux ne disparaisse totalement. La fraternité des deux clans devint vite réalité… et le soleil reparut sous les vivats de tous, qui jurèrent de ne plus se faire la guerre !
Ainsi cessa cette destruction humaine insensée, que seul un signe divin put faire cesser le 28 mai 585 av. J.-C. !
La vie extraordinaire de Pythagore pp. 88 – 90 de Albert Slosman éditions Robert Laffont