Au début des années 80, l’écrivain de science fiction polonais Stanislav Lem a publié une étude sur les systèmes d’armement du XXIe siècle. Lem a prédit qu’à la suite du progrès technologique, une tendance à la miniaturisation et à la « fragmentation fonctionnelle » des instruments de combat verrait le jour. Et, de fait, quand on observe une série de produits « high tech » du XXe siècle, on s’aperçoit qu’une telle évolution est en cours et qu’en règle générale elle est dictée par le besoin de se donner toujours davantage de « sécurité » et de contrôle.
Quand l’épée de Damoclès nucléaire est suspendue en permanence sur le champ de bataille avec des armes conventionnelles de plus en plus précises et sophistiquées, les militaires ne peuvent plus engager sur le terrain des appareillages de grandes dimensions ou exécuter des manœuvres tactiques englobant l’ensemble du terrain. La solution à ce défi réside dans la construction de micro-puces de plus en plus performantes, ce que permet aujourd’hui la « nanotechnologie ». Cette science vise à produire des micro-organismes artificiels intelligents dont les tâches sont plurielles. Ils sont dotés d’une sorte « d’instinct synthétique », permettant de construire de grands organismes techniques, difficiles à repérer et quasiment inattaquables car ils ne se constitueront et ne se monteront en systèmes de combat compacts que sur le lieu où ils doivent être engagés.
L’histoire de la vie (biologique) nous enseigne de manière optimale la façon dont se déroulera une évolution de ce type : à la fin du Crétacé, il y a plus de 65 millions d’années, qui fut vraisemblablement provoquée par la chute d’un météorite sur la Terre, ce ne sont pas les grands organismes qui ont survécu, mais les petits. Les dinosaures se sont éteints, mais non pas les insectes. La miniaturisation et la diversification se révèlent donc les meilleures stratégies évolutionnaires face aux grandes catastrophes. Stanislas Lem écrivait : « Ce que nous enseigne la paléontologie est clair. La catastrophe qui est survenue, et qui est comparable à la puissance destructrice d’une guerre nucléaire généralisée, a éliminé tous les animaux de grandes dimensions, n’a pratiquement pas affecté les insectes et n’a pas touché les bactéries. On peut en déduire que, plus les effets destructeurs d’une force élémentaire ou d’une arme technique sont importants, plus les petits groupes seront épargnés et échapperont à l’annihilation. Une bombe atomique peut vitrifier et carboniser des armées entières et des soldats isolés […] ».
« Par conséquent, ce ne seront pas des automates semblables à l’homme qui formeront les armées nouvelles, mais des insectes synthétiques, des « synsectes », des sortes de micro-crustacés en céramique, des lombrics en titane et de pseudo-insectes volants dotés de nodalités nerveuses en liaisons d’arsenic et de dards constitués d’éléments lourds et fissibles […] ».
« Les « synsectes » volants combineront avion, pilote et munition en un tout unifié et miniaturisé. Une telle micro-armée, tirera sa force de son « holicité » dans la force et la valeur combatives qu’on exigera d’elle, tout comme l’essaim d’abeilles constitue en lui-même une unité de survie, ce que n’est pas l’abeille isolée ».
Aujourd’hui, les stratèges qui élaborent la politique spatiale américaine vont exactement dans ce sens. Ils expriment leur espoir que la « nanotechnologie » offrira bientôt la possibilité de créer des ateliers de fabrication à l’échelle moléculaire, capables de produire des milliers de nano-machines hautement spécialisées. Les experts partent du principe que seules vingt ou trente années suffiront pour obtenir des résultats probants dans le domaine de la nanotechnologie ».
Des nano-satellites
Cette tendance évolutionnaire, décrite par Lem et bien d’autres, qui va dans le sens d’une diversification et d’une miniaturisation, a été bien perçue en haut lieu. On ne s’étonnera pas de voir les stratèges de la guerre des étoiles réclamer de mini et des micro-satellites hautement spécialisés pour le Space Command. Leurs tâches seront très diversifiées. Il s’agit principalement d’engins de deux catégories :
1° Les satellites « gardes du corps »
Ils serviront à protéger les grands satellites dont l’importance est primordiale. Cette mission de sécurisation sera effectuée par un grand nombre de satellites de ce type. Ils sont comparable à ces essaims de chasseurs qui escortaient les escadres de bombardiers américains pendant la seconde guerre mondiale. On sait déjà qu’il y aura plusieurs sous-espèces de « satellites gardes du corps » : des satellites de défense passifs et actifs, des satellites chargés de protéger les communications et des satellites de maintenance et de réparation…
2° Les « robo-bugs », ou « insectes-robots »
Leurs tâches seront de « parasiter », d’émettre des parasites à proximité des satellites ennemis, dont ils devront faire cesser le bon fonctionnement en paralysant les échanges d’ondes et en entreprenant toutes sortes d’autres manœuvres dans la guerre électronique. Les futurs « robo-bugs » utiliseront, des techniques de camouflage, de dissimulation et d’illusion, afin de s’approcher des satellites ennemis, sans se faire repérer, afin de troubler leur fonctionnement, de pomper les informations qu’ils glanent ou de les mettre hors d’état de fonctionner. Les satellites ennemis pourront aussi être détournés, et pris sous contrôle de la puissance qui aura envoyé les robo-bugs. Dans la mesure du possible, il faudra laisser l’ennemi le plus longtemps possible dans l’incertitude quant à la raison de la perte de ses satellites. Le « retournement » des satellites ennemis sera la stratégie privilégiée, plutôt que leur destruction pure et simple.
Une classe particulière de « robo-bugs » devra mettre hors de combat les satellites ennemis par bombardement de micro-ondes ou par des impulsions électromagnétiques. Ces deux modes d’intervention énergétique sont parfaitement appropriées pour les missions contre la « vie intérieure » des satellites, animés par des techniques ultra-sensibles. Les « frondes électroniques volantes » opèreront très près de leurs cibles et, par leur intervention énergétique, pourront, par exemple, bloquer tous les systèmes de communication.
Leur utilisation vise également à automatiser les futurs satellites de petites dimensions, à les relier entre eux pour former des « méta-réseaux » informatisés…
Mais il ne faut pas seulement résoudre le problème de la propulsion. Pour que les micro-satellites deviennent un facteur digne d’être pris au sérieux et mis sur orbite, il faut qu’ils aient les capacités suffisantes pour propulser ces minuscules « corps célestes » en nombre suffisant.Les missions des futurs robo-bugs ne peuvent être comparées aux missions de grands satellites actuels, qui demandent non seulement plus de doigté technologique, mais aussi beaucoup de temps pour être préparées. Les robo-bugs doivent, eux, être alignés rapidement et en grand nombre.
Un épiderme intelligent
Et, finalement, il faudra développer de nouvelles méthodes du type « Stealth », pour rendre les nano-satellites invisibles aux radars. Les capacités actuelles des engins de type « Stealth », comme les avions B-2 et F-117 sont loin d’être satisfaisantes. Ils ne sont pas totalement invisibles sur les écrans-radar.
Les nouvelles solutions sont à trouver dans la composition moléculaire qui recouvrira les engins de type « Stealth ». Il s’agit plus précisément de trouver des alliages spéciaux qui, non seulement seront capables de découvrir et d’analyser par eux-mêmes toutes les formes de rayons qui se présenteront, mais, simultanément, de transformer leur composition moléculaire, afin d’échapper à l’œil des senseurs ennemis.
On cherche donc une sorte d’épiderme intelligent, capable de s’auto-reproduire et de s’auto-guérir. Des ordinateurs à l’échelle moléculaire serviront de « cerveaux » à ce bouclier de défense très particulier et permettront, ipso facto, au système de réagir en temps réel aux impulsions des unités que sont les senseurs. L’arrivée des nano-ordinateurs nous procurera des machines utiles, qui seront des trillions de fois plus performantes que les ordinateurs actuels, le tout dans des dimensions moléculaires !
Le système classera le signal informateur arrivant comme un signal radar, un signal infra-rouge ou un signal optique […]. L’information captée par les senseurs est ensuite transmise au système de contrôle du nano-ordinateur, qui passe les ordres aux « blocs de finalisation » se situant dans l’épiderme du satellite. Ces « blocs de finalisation » fonctionnent comme des « chaînes de production » moléculaires propres et fabriquent ainsi une nouvelle couche, qui peut réfléchir ou absorber l’énergie arrivante de manière optimale […]. Cette couche, spécifique aux engins spatiaux, relève de la nanotechnologie, et se montrera capable de réparer, par exemple, des dégâts dus aux combats et portés aux véhicules spatiaux (il s’agit, ni plus ni moins, d’un satellite capables de s’auto-réparer).
Cette capacité d’auto-réparation autonome diminue considérablement le besoin en systèmes logistiques, ce qui entraîne, dans l’espace, une diminution importante des coûts et un bon gain de temps » (Star Tek – Exploiting the Final Frontier : Counterspace Operations in 2025).
Des femto-satellites
Dans ce domaine, la recherche bat son plein, à une cadence accélérée. L’Université de Surrey, dans le Comté anglais du Sussex, a réalisé un travail pionnier depuis longtemps déjà. En 1985, une entreprise commerciale spécialisée en technologies satellitaires a été fondée : la SSTL (Surrey Satellite Technology Ltd). En juillet 1995, la SSTL lance son premier mini-satellite militaire dans l’espace, dans le cadre d’une mission Ariane.
En 1999, les Français emboîtent le pas. Deux ans après, l’US Air Force suit. Les chercheurs de Surrey estiment que le lancement de satellites, dont la taille sera celle d’une carte de crédit, sera bientôt possible.
Le directeur de la SSTL, Martin Sweeting, se montre très confiant. Il effectue une comparaison : « Les insectes sont probablement l’espèce la plus solide sur la Terre : ils ont vu arriver et disparaître les dinosaures et, aujourd’hui, ils dépassent largement les hommes en nombre. Bien sûr, on peut dire qu’un seul insecte isolé ne peut déployer des effets réels, mais, par exemple, un nuage de sauterelles se comportera de façon bien différente. Les systèmes actuels mécaniques et micro-électroniques et la nano-technologie en marche, poussée par les besoins de l’industrie et de ses clients, nous conduiront à élaborer et à fabriquer en masse des « pico et femto-satellites, qui seront plus petits qu’une carte de crédit. Un seul de ces satellites ne se montrera guère utile. Mais un nuage entier de « femto-satellites » mis sur orbite -avec des noyaux-processeurs interchangeables, avec un système de communication synchronisé et des capacités à indiquer très précisément leur position- nous promet l’avènement dans l’espace d’un système hautement inaccessible à toutes manœuvres de diversion ou de sabotage. Ces femto satellites seront capables de se regrouper en temps réel, pour réagir très rapidement à des exigences extrêmement dynamiques ».
Les syn-insectes d’Oxford
Dans les bureaux de l’Université d’Oxford, on est convaincu de pouvoir bientôt fabriquer des micro-avions, ressemblant à des insectes, dont l’envergure ne dépassera pas 10 cm. Ils seront téléguidés par ondes radio ou pourront voler de manière autonome, en étant dotés de caméras minuscules, ce qui en fera des instruments d’espionnage parfaits. La clef qui fera le succès de ces appareils sera une étude détaillée du comportement des insectes en vol. Les ailes des insectes fonctionnent de manière fondamentalement différente et génèrent par le rythme de leurs battements une portance dix fois supérieure à celle des ailes d’un avion.
Le Microbat
Les constructeurs américains ont déjà réussi à exploiter ces nouvelles connaissances. La firme californienne « AeroVironment », qui s’est spécialisée dans la construction de micros volants, a présenté le premier « insecte-robot » capable de voler au printemps 2001, le « Microbat », un appareil volant dont les ailes mesurent 20 cm et fonctionnent comme celles d’une chauve-souris. Dans ce cas, la réalisation de ce « Microbat » a été précédée de longues recherches sur les ailes d’insectes. Le « Microbat » possède un avantage par rapport aux petits drones conventionnels : il vole plus lentement et peut modifier son comportement de vol, exactement comme les insectes et les chauve-souris.
Black Widow
La firme AeroVironment a également développé et fabriqué un autre produit : un petit avion de 15 cm, résultat du programme « Veuve Noire » (« Black Widow »). Les forces armées américaines l’ont déjà utilisé pour parfaire des missions de reconnaissance. « A 100 m au-dessus du sol », explique le directeur du projet, Matt Keennon, « on n’en croit pas ses yeux et ses oreilles et l’on découvre des images claires comme le cristal, qui sont immédiatement renvoyées au sol ».
Les MEM et robots fourmis
Depuis l’année 2001, le gouvernement américain investit chaque année la somme gigantesque de près de 200 millions de dollars dans le développement de MEM (des « Micro-Electronic Machines »). Cette part du budget est l’une des plus élevées dans l’ensemble des postes réservés à l’armement.
Les grandes firmes d’armement, telles Raytheon, Boeing et Lockheed Martin, ont désormais des départements qui s’occupent des MEM et ont créé des cellules de recherche en ce domaine. Des effets de synergies sont d’ores et déjà programmés. Quant aux adversaires potentiels de demain, ils ne s’endorment pas. En 1996, l’Académie des sciences militaires de Chine fait publier un article sur les multiples possibilités de mettre en œuvre des « robots-fourmis », qui disposeraient d’un cycle de vie de plusieurs décennies et qui pourraient être « déposés » en temps de paix sur le territoire d’un ennemi potentiel, pour être aussitôt activés si des hostilités » éclatent. Ils auraient notamment pour mission d’infiltrer et de brouiller les systèmes d’approvisionnement énergétiques de l’adversaire (Ernst Jünger, the Technological Revolution and Titanism).
Abeille de verre
Les « robo-bugs » deviendront une réalité, tout n’est plus qu’une question de temps : ils seront présent d’abord sur la Terre, ensuite dans l’espace. L’évolution technique suivra, elle aussi, les traces annoncées par la nature. Non seulement, elle imitera les capacités de voler, de percevoir et de se camoufler de leurs modèles naturels, mais aussi d’autres capacités encore, bien plus vitales, telles la reproduction, l’auto-guérison et le métabolisme. Et puisque la division du travail, la spécialisation et la constitution d’États augmentent les chances de survie, des unités auto-organisées de « nano-insectes », connaissant la division du travail, deviendront un jour réalité.
Ernst Jünger avait en quelque sorte anticipé, il y a déjà quelques décennies, en imaginant, dans le domaine de la création littéraire, la vision d’essaims d’abeilles, créés par la main de l’homme, tels qu’ils apparaissent dans son roman « Les Abeilles de verre ». Il exprimait toutefois un certain malaise en évoquant cette invention qui dépassait son modèle original en efficacité, tout en sacrifiant l’ordre naturel pré-établi. Jünger était bien conscient des innombrables potentialités de tels essaims d’insectes artificiels, utilisés comme armes.
Un passage de son roman est très explicite sur ce sujet : « Je ne savais pas ce qui m’étonnait le plus, l’invention artistique et synthétique de ces corps distincts ou leur synchronisation. Sans doute était-ce, au tréfonds, cette force chorégraphique du regard porté qui me subjuguait et m’enchantait, une puissance hautement ordonnée et concentrée, qui n’avait pas de fin […]. Oui, sans aucun doute, je me trouvais sur un champ d’expérimentation […], sur le terrain d’aviation pour micro-robots. Je pensais que c’était des armes et je pense que j’avais vu juste ».
Nano-révolution pour 2020
Les experts de la « nano-révolution » n’émettent pas des prophéties pour un futur très lointain, mais pour l’année 2020. Les effets que ces engins minuscules produiront seront révolutionnaires et, en même temps, inquiétants. Les précurseurs de ce domaine scientifique envisagent déjà de créer des verres de lunettes qui ne se grifferont jamais, des cuvettes de WC qui ne devront jamais être nettoyées, des disques durs miniaturisés qui disposeront de gigantesques mémoires et des robots minuscules qui lutteront contre les tumeurs ou la calcification et la sclérose des artères. Lors d’une exposition, on a déjà pu voir le prototype d’un « sous-marin » nano-électronique destiné à surveiller médicalement l’intérieur du corps humain en y patrouillant.
« Nous nous attendons à une révolution dans tous les domaines de production », a déclaré l’expert en informatique Ralph Merkle, l’un des principaux théoriciens de la nano-technologie, « révolution qui sera liée à la possibilité d’offrir des gammes de produits bien plus vastes pour un prix considérablement réduit et qui, de surcroît, seront bien plus fiables. Ces productions seront plus robustes et aussi plus légères (…). Dans l’avenir, nous disposerons d’appareils chirurgicaux de dimensions moléculaires. Ils se porteront exactement là où nous le voudrons, là où une lésion sera survenue et où nous l’éliminerons. Cela conduira à une révolution médicale »( Stefan Krempl, Nano-die elementare Revolution).
Les nanotechnologies sont considérées comme un danger mortel par certains scientifiques
Toutes les voix ne sont pas aussi enthousiastes. Il y a celles qui nous avertissent de dangers. Le spécialiste ès-logiciels, Bill Joy, voit dans la « nano-révolution » l’un « des plus grands dangers pour l’avenir de l’humanité ». A quoi ressemblera cet avenir ? Michael Crichton, auteur de best-sellers, a tenté de le décrire dans son roman « Butin » paru en 2002. Le scénario est terriblement actuel et, comme chez Lem ou Jünger, la caractéristique la plus étonnante des robots qu’il a inventée, est la capacité à s’auto-organiser. Chez Crichton, il s’agit de nano-robots qui sont téléguidés dans les airs et y virevoltent pour ensuite se regrouper en un essaim sur le lieu ciblé — par exemple une fabrique d’armement suspecte. Dans le roman, cet essaim est fabriqué, sur commande du Pentagone, par une entreprise de haute technologie installée dans le désert du Nevada. Mais tout finit par aller mal, les nuages de robots s’autonomisent et deviennent un danger mortel.
Crichton n’invente rien, au fond. Il se borne à exagérer quelque peu les tendances à l’œuvre aujourd’hui en ces domaines de très haute technologie. « Les effets pour l’humanité », écrit-il dans la préface de son roman, en citant deux scientifiques renommés, « pourraient être désastreux, plus importants que ceux de la révolution industrielle, de l’invention de l’arme atomique ou de la pollution de l’environnement ». Ce n’est certainement pas exagéré.
D’après des extraits du livre de Karl Richter, Tödliche Bedrohung USA,
Waffen und Szenarien der globalen Herrschaft, Hohenrain Verlag, Tübingen, 2004, ISBN 3-89180-071-1
(La menace mortelle des États-Unis – Armes et scénarios de la domination globale).