En présence de son assistant, le professeur Corneille arpente son vaste bureau du musée de l’Homme en maugréant.
« Pardonnez-moi, cher ami, je n’arrive pas à décolérer contre ces salauds qui ont organisé le pillage systématique du Musée de Bagdad et détruit le site où nous devions entreprendre nos fouilles et ce, l’avant-veille de notre départ. C’est insensé ! A croire qu’ils n’ont attaqué l’Irak rien que pour ça ! »
Comme pour calmer l’exaspération de son patron, le jeune Jorge Guzmao tire une cigarette de l’étui noir d’où jaillissent les mots « FUMER TUE ». « Heureusement que je ne suis pas sensible à l’effet nocebo, sinon j’en mourrais, même avec une seule cigarette par jour », pense-t-il en suivant le Pr. Corneille du regard. « Vous savez, lance-t-il en actionnant son briquet, je ne suis pas loin de donner raison à IAMAI. »
« Vous n’êtes pas sérieux, s’emporte le professeur, vous n’allez tout de même pas accorder foi aux divagations de ce, de ce… »
« Prétendu Ummite ? »
« C’est ça ! s’exclame le Pr Corneille en s’immobilisant devant la baie vitrée baignée de soleil. Passe encore qu’il fasse partie d’un INAYU YIXA, un petit groupe expéditionnaire en provenance d’une planète nommée UMMO, mais avouez que sa version des faits au sujet de la guerre en Irak a de quoi vous rendre incrédule ! »
« Il ne se prétend pas lui-même Ummite, mais dites-moi une chose : la réalité ne dépasse-t-elle pas toujours la fiction ? » objecte Jorge Guzmao en observant la réaction du professeur.
« Tout de même, répond celui-ci en faisant face à son assistant, si nous devions considérer ses contes à dormir debout pour de réelles informations sur nos origines, nous subirions un choc culturel comme on n’en a jamais vu sur cette planète !
Un informaticien du ministère de la Défense parle de risque d’ethnocide. »
« Oui, avec cette version de l’histoire, on n’est pas près de voir lever le secret défense sur la question des OVNI, grommelle le professeur, et ça ne nous aide pas à déclassifier nos artefacts. »
« D’après les disques retrouvés dans les grottes de Bayan Kara Ula, il y aurait eu, autour de l’Antique cité d’Ur, plusieurs Diranna géantes que les Uana empruntaient pour leurs voyages spatiaux. Rappelez-vous notre surprise quand nous nous attendions à des Vimana. »
« Oui, et comment dit-on en ummite ? »
« UEWA », articule lentement Jorge Guzmao.
« C’est ça. Je trouve qu’il y a vraiment trop de similitudes. On a l’impression d’un scénario terrien bien monté par différents services secrets pour noyer le poisson extraterrestre. »
« Ou d’une origine commune à certaines langues technologiques, par exemple le proto-sumérien, le sanskrit et l’ummite… » hasarde le jeune assistant.
« Ceci accorderait crédit à la thèse de ceux qui prétendent que les Ummites seraient ici pour retrouver des traces de leurs lointains ancêtres… Hum, je trouve ça plutôt incroyable, non ? »
« Possible professeur, mais à partir du moment où l’on considère qu’il y a sous toutes ces affaires une vérité inavouable, on peut imaginer le pire. »
« Pire qu’un ethnocide ? » s’inquiète le Pr Corneille en haussant les sourcils.
« Non, bien sûr, mais quelle pourrait être la pire révélation ethnocidaire ? »
« Je ne sais pas… Par exemple que nous ayons été manipulés génétiquement avant d’être déportés sur cette planète pour y purger une peine. D’où cette idée obsédante de faute originelle et de chute du jardin d’Eden ? »
« Je me demande, ajoute Jorge Guzmao, ce qu’il se passerait si nous apprenions officiellement de la bouche de nos visiteurs que nous sommes nés dans un bagne de civilisations galactiques ayant des milliers d’années d’avance technologique sur nous ? »
« Naître et vivre dans une prison sans espoir de conquérir jamais l’espace ni aucune autre planète parce qu’elles seraient déjà toutes occupées ? » dramatise le professeur Corneille.
« En rasant définitivement les ruines d’Ur, les Américains ont réglé provisoirement cette question conclut Jorge. Mais jusqu’à quand ? »
Perplexe, le professeur prend appui contre son grand bureau en palissandre sculpté. « Si c’est le cas, il faut s’attendre à d’autres conflits autour des sites archéologiques sensibles. »
« Croyez-vous vraiment que les plénipotentiaires du NOM qui laissent l’industrie détruire la planète soient des irresponsables devant l’avenir de leur progéniture ? »
« Non, en effet, répond le professeur en se grattant la joue, mais je ne vois pas pourquoi ils n’interviennent pas pour financer des solutions énergétiques alternatives… »
« Et pourquoi, au contraire, ils découragent l’émergence des écotechnologies… Peut-être parce qu’ils ont, pour eux et leurs descendants, une position de repli. »
Le professeur arrête de se gratter la joue. « Vous voulez dire… sur une autre planète ? »
« Quoi d’autre ? En fait, c’est leur insistance à faire disparaître toute trace de la face simiesque de Mars, après l’affaire Roswell et les secrets militaires de Groom Lake autour de l’Aurora, qui m’a mis la puce à l’oreille. Depuis, j’ai rassemblé quelques pièces très importantes du puzzle, en dehors de notre terrain de fouilles habituel, si j’ose dire. »
A ce moment, Jorge sort un objet métallique de sa poche et le tend au professeur. Celui-ci s’en saisit délicatement et commence à évaluer sa forme et sa matière.
« Je le tiens du tunnelier Phil Schneider, qui a travaillé sur le gruyère souterrain des bases secrètes américaines, commente Jorge. Vous savez que c’était devenu l’un de mes meilleurs amis. Il m’avait confié cet objet juste après le treizième attentat contre lui. Il devait pressentir que le quatorzième serait le dernier. Quand la CIA s’acharne, c’est une course contre la montre à l’issue inéluctable. Il le savait, mais n’aurait cédé pour rien au monde. Il voulait faire passer le message. Il m’a dit qu’une fois, avec leur laser à plasma capable de creuser 10km de tunnel par jour, ils étaient tombés sur un autre tunnel, d’époque préhistorique, creusé avec des moyens analogues. Je pense que les services secrets américains savaient sur quoi nous allions tomber à notre tour en continuant de creuser en Irak. »
« Et qu’étions-nous donc censés découvrir là-bas ? ironise le professeur en défiant Jorge Guzmao du regard. Un OVNI d’Ur en état de marche ? »
« Pourquoi pas un Vimana de l’empire de Rama, prouvant l’existence d’une gigantesque civilisation disparue s’étendant des rives du Golfe persique à la mer du Japon et communiquant par un vaste réseau de tunnels que certains véhicules emprunteraient encore ? »
« Vous rêvez, mon cher, car cela signifierait qu’ils seraient passés inaperçus pendant des millénaires, vivant parmi nous à notre insu ? Votre hypothèse ne peut pas tenir. »
« Vous savez, professeur, on ne voit que ce que l’on peut appréhender. Ainsi, ce morceau de métal dix fois plus résistant et léger que l’acier, savez-vous ce que c’est ? »
Soupesant l’objet et le manipulant dans tous les sens pour mieux l’observer, le professeur Corneille émet une moue circonspecte.
« Je suis désolé de dire que je ne vois pas, effectivement… Une pièce d’horlogerie, peut-être ? Ou bien une pièce de sextant ou d’un autre appareil d’observation astronomique ? »
« Pas du tout. C’est un injecteur de flux pariétal magnéto-hydrodynamique. Ils ont mis les mêmes sur le premier proto de l’Aurora, l’avion qui file à Mach 10 sans faire de bang. Phil m’a montré les photos. Saisissant, n’est-ce pas ? »
« Effrayant, mon ami, effrayant… Et de quand dites-vous que date cette pièce archéologique ? »
« Douze millions d’années, professeur, douze putain de millions d’années ! »
© 2006 Alex Vicq